Comment permettre le jeu dans l’espace public en dehors des aires de jeu ? Est ce que sortir les enfants de ces espaces dédiés permet d’avoir un autre rapport à la ville ?

Voici les questions qui ont mené ma recherche projet, de mon mémoire à mes expérimentations.

CONTEXTE

Ces questions de recherches partent du constat suivant : les villes ne sont pas adaptées au jeu l’enfant. Entre aires de jeux aux structures monofonctions bridant les possibilités de jeu, et espace fermés, grillagés, mis à l’écart. L’enfant n’a plus sa place dans la rue. Je me suis donc penché sur le jeu de l’enfant en ville, comment le permettre, le faire apparaître là où on ne l’attend pas. Ce qui m’a mené à la problématique suivante :

Le jeu permet-il à l’enfant de reprendre place en ville et d’avoir un autre regard sur l’espace urbain ?

J’ai développé trois hypothèse afin de vérifier cette problématique :

Le jeu permet à l’enfant de reprendre place en ville et d’avoir un autre regard sur l’espace urbain :

• En occupant l’espace urbain (Cad en prenant de la place dans la rue, en remplissant l’espace)
• En détournant le mobilier urbain (Cad en transformant la fonction et le sens du mobilier urbain)
• En réenchantant la ville (Cad en convoquant des imaginaires et des univers au sein de la rue)

PARTENAIRE

Pour vérifier ces hypothèses, j’ai travaillé avec le Fossé des treize (centre socio culturel situé dans le quartier du tribunal). J’ai pu intervenir durant les temps périscolaire avec des groupes d’enfants allant de 5 à 11 participants, de 6 à 12 ans. J’ai réalisé 12 interventions explorant à chaque fois une hypothèse et un type de jeu lui étant associé. Certains enfants revenaient régulièrement à mes ateliers et ont développés une expertise, me permettant de faire évoluer les outils et les activités en écoutant leurs retours. Nous nous installions durant 45 min dans la rue Finkmatt, devant le tribunal, devant l’église Saint-Pierre-le-Jeune ou même au parc des Contades.

ATELIERS

J’ai choisi de travailler avec du carton car c’est un matériau facilement transformable, bricolable, récupérable (grande surface) et qui permet de créer du volume. À cela j’ai ajouté des gaines en plastiques bleu, permettant d’avoir des lignes et de créer des structures avec le carton. J’ai travaillé avec les Makedo (outils de la marque éponyme permettant d’assembler, plier et découper du carton à l’aide d’outils sécuritaires pour les enfants). Ces trois matériaux permettaient très vite de faire de constructions.

J’ai fabriqué des carnets d’observations afin d’observer des aspects de chaque ateliers tels que le rythme de l’intervention, l’utilisation des outils ou l’occupation de l’espace. Carnets qui m’ont permis de faire évoluer les futurs ateliers en fonction des observations. Exemple : je me suis vite rendu compte de la non utilisation des Makedo lors des premiers ateliers, ce qui m’a incité à organiser un temps d’explications d’utilisation lors des ateliers suivants.

 

OCCUPER L’ESPACE URBAIN

L’objectif de cette première hypothèse, était de vérifier si occuper l’espace urbain permettait aux enfants de reprendre place et d’avoir un autre regard sur la ville. J’ai choisi d’expérimenter le jeu de construction, qui permet d’occuper l’espace rapidement.

En plus des cartons et des gaines plastiques, j’ai fabriqué une boîte d’outils dans lesquels étaient stockés des Makedo, des ficelles, mais aussi des cartes contraintes et constructions visant à stimuler la créativité des enfants et à les inciter à s’emparer de leur environnement. Face à la difficulté de transporter le carton à chaque atelier j’ai fabriqué un port carton muni d’un système de tendeur coulissable afin de pouvoir s’adapter à la taille du porteur et des cartons. Enfin, j’ai fabriqué un outil nommé le trou’trou’ afin de permettre aux enfants de faire eux mêmes des trous dans le carton et d’y faire passer des gaines, ainsi qu’un coup’coup’, permettant aux enfant de couper le carton comme ils le souhaitent.

Au terme des 5 interventions que j’ai pu faire, j’ai observé que les enfants se saisissait très rapidement de l’espace mais ne bougeait pas de leur emplacement de construction, en revanche lorsque l’on les y incitaient, alors ils se permettaient de s’approprier l’espace et le mobilier et commençaient à s’étaler. L’impact des interventions a été observable par la réactions des passants dans la rue, ceux-ci ralentissaient, s’arrêtaient, parfois posaient des questions et quelques fois venaient même jouer avec les enfants ! J’ai pu observé une réelle prise de l’espace par les enfants qui finissaient par prendre plus de place que les adultes dans la rue, c’était à ces derniers de se décaler pour les laisser jouer.

DÉTOURNER LE MOBILIER URBAIN

L’objectif de cette deuxième hypothèse était de vérifier si détourner le mobilier urbain permettait aux enfants de reprendre place et d’adopter un autre regard sur la ville. J’ai choisi d’expérimenter le jeu de circuit à billes, qui permet de transformer l’espace en un grand circuit à billes. Lors de ces 5 interventions j’ai pu bénéficier d’un retour direct des enfants après chaque ateliers, ce qui m’a permis de faire évoluer les outils, et les ateliers très rapidement, en suivant la volonté des enfants.

Nous utilisions les gaines en plastiques bleu afin de créer un réseau de tuyau et de pouvoir y faire rouler une bille. J’ai du faire face aux complications suivantes :

• Relier les gaines les unes aux autres nécessitent un outil

• On ne voit pas la bille passer dans le circuit

• Il est compliqué d’accrocher le circuit au mobilier urbain

J’ai donc réalisé un outil nommé Stick’stock’, permettant d’accrocher les gaines au mobilier urbain, j’ai scindé ces dernières en deux afin de pouvoir voir passer la bille, et enfin j’ai fabriqué le Tub’tub’ perettant de relier plusieurs gaines entre elles. En plus de cela j’ai fabriqué une sorte de tourbillon en revisitant un entonnoir afin d’ajouter du dynamisme aux circuits.

J’ai pu observer une prise en main rapide des différents outils, les circuits se créaient beaucoup plus efficacement qu’au début. De plus, les enfants se donnaient à coeur joie de détourner le mobilier, un circuit continuaient dans les espaces d’un banc, un arbre abritait un looping et une barrière guidait un circuit entier. J’ai pu observer les mêmes réactions chez les adultes que lors des jeux de construction, à la différence près que les jeux de circuit à billes prenaient moins de place et n’entravaient pas le passage des passants.

RÉENCHANTER LA VILLE

L’objectif de cette dernière hypothèse était de vérifier si la création d’univers et d’imaginaires de jeu permettait aux enfants de s’approprier leur environnement urbain et ainsi de reprendre place et d’avoir un autre regard sur la ville. Pour cette hypothèse j’ai choisi d’expérimenter le jeu de déguisement.

J’ai fabriqué des bouts de tissus munis de passants, inspirés des toile de mayenne (tissu de déguisement utilisé en animation), les passants permettaient d’y faire passer des tuyau ou des ficelles afin de créer des pièce de costumes. Du reste, les enfants disposaient de tout les outils que j’avais pu fabriqués lors des autres ateliers. Les ateliers se déroulaient de la manière suivante : nous nous installions dans la rue, nous donnions un thème commun aux déguisement (par exemple les monstres) et tout seul ou à plusieurs ils devaient fabriquer leur costume. Enfin, nous faisions une activité de groupe afin de découvrir les déguisements des autres et de jouer avec eux.

Lors de ces 2 interventions j’ai pu observer l’appropriation naturelle que les enfants faisaient de l’espace urbain. Et cela, sans que j’ai à les inciter. Le simple fait d’être en immersion dans un univers ou un personnage leur donnait envie de s’emparer de leur environnement. Ainsi j’ai pu observer un monstre aller faire d’un rocher son piédestal, ou encore une princesse dévaler les escalier de l’église comme un tapis rouge.

CONCLUSION

A l’issue de ces interventions j’ai pu mettre en lien mes résultat avec ma problématique initiale

Le jeu permet-il à l’enfant de reprendre place en ville et d’avoir un autre regard sur l’espace urbain ?

Pour ce qui est de reprendre place en ville, j’ai pu l’observer à travers la liberté que s’octroyaient les enfants à s’étaler dans l’espace dès lors qu’on leur permettaient de prendre de la place. Mais aussi à travers la réaction des adultes et des passants qui acceptait la place prise par ces enfants et s’y adaptaient. La critique que je pourrais faire de ces expérimentations est qu’elle se sont faites souvent au même endroit (autour de la rue Finkmatt), ce qui a joué à instaurer un climat de confiance pour les enfants vis à vis de l’espace urbain. Il serait intéressant d’expérimenter du jeu dans une rue inconnu des enfants et d’observer comment ils se l’approprient. Finalement, le jeu permet à l’enfant de reprendre place en ville et de jouir d’une plus grande liberté de jeu en terme d’espace.

Pour ce qui est de la deuxième partie de ma problématique, à savoir : adopter un autre regard sur l’espace urbain. J’ai pu l’observer à travers l’utilisation que les enfants faisaient du mobilier urbain. Celui-ci était rapidement détourné, que ce soit pour en faire un élément de circuit à billes ou un accessoire de jeu imaginaire. Ceci témoigne d’un vrai changement d’appréhension de l’espace urbain par les enfants.

Une autre hypothèse que je regrette de ne pas avoir eu le temps d’expérimenter afin de vérifier cette affirmation est celle de l’interstice dont je parlais déjà dans mon mémoire. L’interstice désigne la fissure, le détail dans un bâtiment ou une construction de l’espace urbain, dans lequel il est possible de convoquer de l’imaginaire et du merveilleux, cela afin d’éveiller la curiosité de l’enfant dans la rue. Cette hypothèse aurait été un autre moyen de vérifier le fait que le jeu peut changer l’approche qu’un enfant a de l’espace urbain.

Mon projet de design se conclue par un livrable des outils fabriqués ainsi que d’un carnet expliquant leur fabrication et leur utilisations à mon partenaire de projet (le fossé des treize).

Ce projet de design répond à un besoin concret, celui du jeu de l’enfant, un besoin de plus en plus délaissé dans nos villes. Inutile de rappeler l’importance du jeu dans le développement de l’enfant. Je défend le fait qu’en octroyant même de manière éphémère des possibilités de jeu aux enfants, il est possible de ramener de la vie et de la joie dans nos rues, et de leur permettre de se construire en tant que citoyen dans une ville qui ne les mettrait pas de côté.