1/ CONTEXTE
Problématique
Ce projet “L’atelier des possibles” fait suite à une recherche qui se nomme “Décroî(t)re” et qui s’appuie sur les manières de désamorcer les imaginaires autour de la croissance et du capitalisme. Après avoir effectué plusieurs explorations outillées par le design, la problématique qui s’est posée est la suivante : “Comment le design social, par le design fiction, peut-il permettre d‘envisager d’autres modes de vie que le consumérisme ?”
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Quelques définitions
Design fiction : “Le Design fiction ou design spéculatif, ou encore design critique, est une pratique du design qui consiste à explorer les implications d’évolutions futures. Il peut s’agir de futur probable, possible, ou complètement spéculatif. Contrairement aux démarches classiques du design qui consistent à répondre à une commande et/ou résoudre un problème précis en créant un objet, un service ou une application, l’objectif du design fiction est de matérialiser des scénarios possibles pour ensuite les mettre en débat.“ Wikipédia – Design fiction
Modes de vie : “En sociologie, un mode de vie est la façon dont une personne ou un groupe vit. Cela inclut ses types de relations sociales, sa façon de consommer, sa façon de se divertir, de s’habiller. Un mode de vie reflète également l’attitude d’un individu, ses valeurs, sa façon de voir le monde dans lequel il vit.“ Wikipédia – Modes de vie
Consumérisme: “On ne passe de la consommation au consumérisme qu’en ajoutant des dimensions symboliques à la dimension bio-économique de la consommation. On désigne par « consumérisme » un mode de vie, des normes et standards de désir légitime de la vie réussie… Il s’agit d’un mode de consommation individualiste, dépendant du marché, quantitativement insatiable, envahissant, hédoniste, axé sur la nouveauté, faisant usage des signes autant que des choses.” Wikipédia – Consumérisme
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Ces définitions peuvent sembler rébarbatives, mais il était important pour moi de savoir exactement ce qui découlait de chaque terme que j’ai pu employer pour être certaine de viser juste. Par exemple, le rôle du design fiction, n’est pas tant de montrer d’autres scénarios possibles de la vie, que de les mettre en débat. Imaginer et Débattre seront donc deux enjeux importants de mon projet.
De plus, j’ai pu me rendre compte que le terme “modes de vie” englobait bien plus de choses que je n’avais pu imaginer. Cette définition a constitué une base importante pour la suite. Elle m’a permise d’élargir mes horizons au niveau des questions à poser. Lorsque l’on parle de modes de vie, il ne s’agit pas seulement de l’utilisation que nous faisons de notre pouvoir d’achat mais également de notre vision du monde. Tout comme le consumérisme ne concerne pas seulement les achats que nous réalisons mais également les signes que nous leurs accordons.
A partir de là, il me fallait poser une hypothèse de projet. Comme j’avais pu le remarquer lors de mon exploration outillée par le design durant ma recherche “Décroî(t)re”, le mélange multigénérationnel constitue un élément important. De manière générale, la participation et l’écoute des autres permettent la remise en question et le débat (vous pouvez retrouver une analyse de cette exploration dans un autre article). De plus, la participation et la projection des scénarios est juste primordiale pour donner à voir et s’identifier à des récits. L’échelle individuelle est donc importante, mais comme celle du collectif pour réaliser que nous faisons partie d’un tout.
Hypothèse
H1 : En proposant l’expérimentation d’un design critique par la participation à des ateliers de projections sur la société actuelle à des échelles différentes (micro, meso, macro) par un public multigénérationnel, permettant une ouverture de débats entre différents points de vue.
V1 Un atelier de design critique participatif > V2 remettre en question nos modes de vie basés sur le consumérisme et en envisager/imaginer de nouveaux.
Enjeux
PARLER ENVIRONNEMENT / DEBATTRE ENSEMBLE / LIBERER IMAGINAIRES / QUESTIONNER NOS MODES DE VIE
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Évidemment, à ce stade-ci, la problématique est posée, les enjeux et l’hypothèse également, mais le concret manque, comment matérialiser des scénarios en collaboration ?
Après avoir réfléchis aux formes envisageables, j’ai mené quelques recherches sur ce qui se faisait déjà comme atelier de projection et de récits. J’ai découvert la Fresque des Nouveaux Récits et Le voyage en 2030 Glorieuses, que je suis allée tester pour m’en faire un constat et voir les réactions des personnes.
Enquêtes
2030 Glorieuses
Le but de cet atelier est de discuter de la société qu’on souhaite pour 2030.
Inspirations
– Le graphisme de l’atelier était très attrayant ce qui a plu aux participants et les a motivé à participer.
– L’atelier présentait des cartes “oracles”, de choses déjà mises en place et qui pouvaient inspirer les participants.
– L’atelier motivait l’écoute et l’indulgence
Failles
– Même si l’atelier motivait l’indulgence, la participation était volontaire est donc la plupart des participants pensaient tous la même chose et il n’y avait pas de débat. Je me suis moi-même sentie un peu mal à l’aise car j’avais peur de dire quelque chose de mal.
– La projection en 2030 permettait de rêver à ce que l’on souhaiterait mais pas tellement de discuter du présent, une sorte de fuite vers le futur.
> Les participants ont trouvé qu’il manquait d’une marque finale ou d’une vision globale de l’atelier à la fin.
Fresque des nouveaux récits
Le but de cette fresque était de comprendre et soulever les biais cognitifs réticents aux changements.
Inspirations
– Récit en collaboration
Failles
– L’atelier était très scolaire, avec un principe de questions-réponses et de classement, et ensuite d’une écriture top-chrono.
– Lorsque j’ai demandé à l’animateur vers quel public il se tournait pour faire ces ateliers, il m’a répondu qu’il ne s’intéressait qu’ »aux pionniers » qui s’inscrivaient volontairement et ne souhaitait pas s’intéresser « aux autres climato-sceptiques ». J’avoue avoir été déçu de remarquer que la plupart des personnes qui participent à ce genre d’atelier ont souvent ce discours manichéen de l’écolo vs le climato-sceptique. J’espère donc que mon projet permettra à n’importe qui de se sentir légitime de parler d’écologie, de modes de vie, ou de ce qu’il souhaite sans se sentir juger. A quoi ça sert de faire des ateliers de projections, si on écoute que le même son de cloche ?
> Les participants ont tous apprécié la phase d’écriture en collaboration mais certains ce sont sentis sous pression de devoir écrire en 10min chrono.
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Partenaire
En discutant avec Fleur Moreau, j’ai appris que Alternatiba, un mouvement citoyen pour le climat et la justice sociale, animait des ateliers d’éco-fiction. J’ai alors contacté une des bénévoles pour connaître le déroulé d’un atelier et envisager un partenariat. Les constats que j’ai pu me faire avec les autres observations sont identiques pour les éco-fictions d’Alternatiba.
Eco-fictions Alternatiba
Le but de l’atelier est d’écrire une fiction à partir d’un “Et si…” par exemple : “Et si y avait plus de pétrole”. Chaque participant écrit une partie du texte puis il y a une mise en commun.
Inspirations
– Le “Et si” est une bonne entrée en matière pour une fiction.
– La collaboration autour d’un récit est réussie
Failles
– L’écriture sous chrono peut être un frein, pour les personnes qui ne sont pas à l’aise avec l’écriture ou n’ont pas d’imagination sur l’instant.
> Face à ces constats, je sais désormais que le but de mon projet est de proposer un outil de discussion à destination des associations ou à des animateurs pour un public large, qui permette réellement la discussion, le débat, la création de nouveaux récits, sans avoir peur de ne pas être d’accord ou de ne pas pouvoir s’exprimer. De plus, l’atelier devra permettre de repenser nos modes de vie, et après l’analyse de la définition et l’exploration outillée par le design, j’ai pris conscience de l’importance des priorités et des choix dans cette problématique, l’atelier devra donc être capable de les bousculer.
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Scénarios
En tout premier scénario, j’avais imaginé une sorte d’éco-fiction avec des cartes à piocher et une maquette à réaliser.
Mais lors d’une formation de contes que j’ai suivi pour connaître le « pouvoir » des récits, j’ai appris que les contes avaient traversé les générations grâce à l’oralité. Le plus important pour qu’une histoire marque est de ne pas s’attacher à un texte ou à une image trop précise, le conte subsiste en donnant à voir sans être trop précis pour laisser l’imagination de chacun se développer. C’est en ce sens que le conte tient toute sa teneur, il est appauvri une fois mise à plat, l’écris offre moins d’imagination, moins de richesse et d’épaisseur qu’à l’oral.
> C’est après cette formation que j’ai décidé de baser tout mon atelier sur l’oralité.
De plus, après avoir visionné une interview de Alain Damasio, écrivain de science-fiction, une de ses phrases à résonner en moi pour mon projet : “Ce qu’il faut mettre en place dans les imaginaires, c’est un imaginaires de combat” Alain Damasio. D’après lui, le plus important est de mettre en place des moyens d’émancipations plutôt qu’une utopie déjà réalisée et accomplie.
Après cette interview, les scénarios d’atelier ont été nombreux.
Le but de l’atelier étant de s’adapter ensemble à un “Et si” en racontant les changements qu’il entraîne sur les éléments pré déposés sur le plateau et qui représentent les habitudes de chacun. Mon but à moi étant de voir si les personnes arrivent à imaginer et raconter une histoire avec une contrainte, les contraignant à changer de vision et par là leurs priorités et leurs choix.
Expérimentations
J’ai pu tester l’atelier avec 11 personnes de la Tour Merveilleuse du Schloessel qui ont été des partenaires pour ce projet. Les participants sont des personnes à priori sensibles aux question environnementales car elles travaillent soit à Start-up du territoire, soit à éco-conseil etc.
Compte-rendu
>> Ce qui a marché :
– Les phases de débat ont duré bien plus longtemps que ce que j’avais pu imaginer et ils m’ont d’ailleurs assuré qu’ils auraient pu encore continuer longtemps.
– Les participants ont appréciés changé d’échelles, commencer par individuel et finir sur individuel.
– Ils ont aimé raconter chacun leur tour et devoir s’adapter à ce que disait l’autre.
– Ils ont trouvé réconfortant le temps où ils devaient parler de ce qu’ils aimeraient faire mais ne font pas pour x raison, cette étape a d’ailleurs lancé des discussions intéressantes sur : « Pourquoi tu ne le fais pas ? »
– Renoncement à l’échelle personnelle
– Les participants ont apprécié avoir à disposition des cartes à « impulsion », qui montre des actions déjà mises en places dans le monde.
>> A améliorer :
– Moins d’étapes et plus de temps sur les étapes, c’est comme s’il y avait plusieurs ateliers en un
– Définir intentions de début, débattre ? Rêver ?
VERBATIMS
” C’est agréable de revenir à soi ”
” C’est rassurant de voir ce qui est mis en place ”
” Ce serait mieux avec moins d’étapes et plus de temps sur chaque étape
“Je vois pas l’intérêt de se poser la question du pétrole, c’est logique que tout le monde trouve que c’est bien s’il n’y en a plus, sauf les climato-sceptiques”
“Ce serait bien de mettre plus en avant les actions qui sont mises en place”
L’atelier a duré 3h, ce qui m’a permis d’adapter les règles et m’a permis de me rendre compte qu’il fallait que j’adapte le format pour les plus jeunes et de manière générale afin d’être plus divertissant. De plus chaque intention n’est pas forcément adapté à chaque groupe de personnes donc il était important de les dissocier pour que l’animateur puisse choisir celle qui lui semble adaptée.
Nouvelles versions
“L’atelier des possibles” se décline désormais en trois intentions : Possible de débattre, possible d’imaginer, possible d’agir (que j’ai ajouté en vue des retours des participants)
Afin de s’adapter à des situations et des publics différents, l’outil “L’atelier des possibles” existe à la fois en version atelier de 2h qui reprend les trois intentions, mais aussi en versions courtes et indépendantes qui reprennent une intention à la fois et avec une dynamique de jeu, adaptées pour les enfants et les adolescents.
Les hexagones peints en peinture de tableau noir, permettent au plateau d’être modulable est de s’adapter à plusieurs scénarios.
Possible de débattre : le jeu des priorités, le but du jeu est donc de retrouver l’ordre mais mon but à moi est de permettre aux personnes de se questionner sur leurs propres priorités et de se rendre compte que chacun n’a pas les mêmes et ainsi provoquer le débat.
Possible d’imaginer : les personnes seront contraintes de renoncer à certaines activités du quotidien, mais le plus important lors de cet étape et de réussir à trouver un moyen de les remplacer. Le plateau est réparti par zone, la zone centrale et la plaque la plus importante : vivre ensemble. Les plaques en bois autour représente la société avec son organisation : se nourrir, se soigner, se cultiver et s’éduquer, se loger&se déplacer, fabriquer et travailler.
Possible d’agir : mon but est de faire explorer au maximum les actions qui existent déjà et sont déjà mises en place un peu partout dans le monde, afin d’inspirer les participants et mettre en valeur les actions à impacts positifs. Ces actions réelles sont classées dans la société et son organisation : pour se nourrir : bien manger, se soigner : être en bonne santé, s’éduquer et se cultiver : s’émanciper, se loger&se déplacer : avoir un toit, fabriquer : être cohérent, travailler : trouver du sens. Le but du jeu est de parvenir à placer le plus d’actions possibles par un lancement de dé. Il faut réussir à placer une action par case, pour chaque action non posée, un pion devra être posé sur la sculpture de l’équilibre.
Cette sculpture “Equilibre du vivant” est une métaphore, le plateau du haut est celui du quotidien, qui repose sur le plateau de la société, qui repose sur le plateau du vivre ensemble, tout est lié, et si le vivre ensemble tombe, tout tombe. L’équilibre est fragile.
Dernières versions
J’ai par la suite développé et amélioré d’autres versions, ce qui offre 6 utilisations du plateau.
Livrable
Lors de l’atelier, lorsque les personnes doivent réfléchir à ce qui compte pour elle, réfléchir à leurs priorités, le type de phrases qui ressortent sont “ll faut que je réfléchisse, je n’ai pas l’habitude de me poser ce genre de questions”. Ces verbatims m’ont donné l’idée du livrable de ce projet. L’outil est en soit un livrable, mais ce qui me semble important est de mettre en avant les verbatims, les phrases insouciantes qui seront prononcées ainsi que ce qui compte vraiment pour les personnes en avant. J’ai alors ajouté un dernier possible : Possible de s’exprimer, qui permette aux personnes d’exprimer ce qu’ils aimeraient faire, d’en garder une trace et d’en constituer des affiches presques “militantes”, que les associations pourraient partager dans la rue. Le message est également de dire qu’il n’y a pas besoin d’être “engagé” ou “militant” pour s’exprimer et dire ce que l’on souhaite, chacun peut laisser sa trace dans la rue et pourquoi pas inspirer les personnes qui liront ces marques insouciantes.
Posture
La posture du designeur est ici celle du facilitateur, il offre les outils puis s’efface pour écouter et prendre note des verbatims, cette posture est la même qu’un éventuel animateur qui souhaiterait animer cet atelier.
Comment je vérifie ?
A la fin de chaque atelier, quelque soit la version, les participants discutent en piochant des cartes questions prévues à cet effet afin de savoir si l’atelier leur a permis de remettre en question leurs priorités et leurs choix.