Implications plurielles est un projet développé dans le cadre de mon projet de diplôme en DNMADE innovation sociale. Son objectif central est de répondre à la question suivante : comment le design peut-il favoriser la prise de parole et permettre l’engagement des populations issues de l’immigration, dans des projets collectifs d’habitants ?
Afin de contextualiser davantage ce projet-recherche, en octobre 2022, j’ai choisi de travailler avec un public composé de personnes résidant en France depuis plusieurs années, voire de quelques générations. Les fondements de ma recherche reposent sur les échanges enrichissants que j’ai eus lors de mes stages au sein d’Atelier Na et Luc Lab, ainsi que lors des rencontres avec des acteurs de quartier tels que Centre socio-culturel Fossé des Treize, le CVIC (Conseil de la Vie Interculturelle et Citoyenne) et l’association TessLab. Parallèlement, j’ai également mené des observations sur le terrain afin de mieux appréhender l’environnement dans lequel s’inscrit ma recherche.
J’ai constaté que pour susciter l’implication de mon public, il est essentiel de les sensibiliser à travers des ateliers participatifs qui encouragent la prise de parole et l’action. Convaincue que le design peut fournir des supports matériels qui stimulent l’action, j’ai décidé de développer des outils collectifs visant à encourager le dialogue.
Mon projet vise à proposer des ateliers concrets permettant de concrétiser les aspirations de mes usagers et d’encourager leurs interactions dans les projets de quartiers. J’ai choisi d’intervenir dans le cadre du projet “Moment Rencontre Femmes” porté par le Centre socio-culturel Fossé des Treize, depuis septembre 2022. Ce projet a pour objectif de créer un espace d’échange et de partage dans lequel les femmes peuvent exprimer leurs envies de projet et participer à la construction d’événements du centre.
J’ai décidé de travailler avec ce groupe à la suite de mes réunions avec la directrice et la référente du projet. En effet, l’un des défis auxquels le centre est confronté est d’impliquer les participantes dans d’autres activités en dehors de leur groupe. Ces indicateurs, discutés lors de nos différentes réunions, ont nourri ma première expérimentation de recherche.
Atelier 1 : Identifier les projets existants
Le premier atelier a pour but de prendre connaissance de l’ensemble des projets existants portés par le centre socio-culturel. Cette phase est primordiale pour élargir les domaines dans lesquels les participantes peuvent s’impliquer. En effet, le centre bénéficie d’un avantage en proposant une diversité d’activités touchant les sphères familiales, adultes et jeunesse. En mettant en évidence la diversité des projets offerts par le centre, je cherche à susciter une prise de conscience confirmant que les participantes peuvent trouver leur place au sein de l’un de ces projets.
Pour cela, j’ai décidé de proposer un dispositif comprenant une dizaine de cartes projet, des pions, des punaises et un support de fixation format A3.
Les cartes ont été développées à l’aide de la référente du groupe, permettant ainsi aux participantes de découvrir les projets présents dans leur centre socio-culturel. Cet atelier m’a permis de faire plusieurs constatations.
Tout d’abord, j’ai remarqué que les participantes avaient besoin d’éléments concrets pour se projeter et s’impliquer davantage. Les cartes projets présentées n’étaient pas suffisamment détaillées à cet égard.
Ensuite, plusieurs idées d’activité ont émergé au cours de cet atelier, principalement liées aux domaines de la création et de la culture. Toutefois, ces idées demeuraient au stade de concepts pour le groupe de femmes. Lors de nos échanges, j’ai observé un désir de participation et d’implication d’autres personnes dans les activités auxquelles elles souhaitaient s’investir. Cependant, elles ne parvenaient pas à visualiser concrètement leurs propres capacités à animer une activité et à assumer des responsabilités dans l’engagement des autres dans un projet.
Atelier 2 : Développement de projet
En discutant avec la référente du groupe, suite à ces constatations, elle m’a partagé l’idée suivante : “Il serait intéressant peut-être de voir avec ces participantes comment on développe un projet, parce que je pense que ça peut aider à justement créer plus d’implication.” Je décide ainsi de concevoir mon deuxième atelier en intégrant cette suggestion de la référente du groupe.
L’objectif de cet atelier est de décortiquer les étapes clés du développement d’un projet avec les participantes. Je souhaite échanger avec elles sur une activité qu’elles aimeraient réaliser et qu’elles ont évoquée lors du premier atelier. À travers cet atelier, je cherche également à responsabiliser les femmes au sein d’un projet, en identifiant les étapes nécessaires à son développement. Mon intention est de les impliquer dans l’appropriation de l’outil et de faire de celui-ci un support de discussion basé sur des faits concrets.
Conçu pour un groupe de 5 personnes minimum l’outil est composé de bulles velleda, bulles sous-question, des ronds questions et des pions.
J’ai testé cet atelier à deux reprises avec les femmes du centre socio-culturel, et plusieurs analyses ont été relevées :
- La présence de la référente du groupe est indispensable pour animer l’atelier. Elle apporte une vision claire du fonctionnement des projets au sein du centre socio-culturel, favorisant ainsi un échange basé sur des faits concrets.
- Le choix d’un projet doit émaner des participantes elles-mêmes pour stimuler davantage les échanges. Lors du premier test de mon atelier, le projet développé était une sortie au musée. Mon objectif était de commencer à aborder avec elles le développement de projets en leur offrant l’opportunité de participer à un projet concret ( et auquel elles ont déjà participé). Cependant, dans la réalité du terrain, les participantes ayant pris part à la sortie au musée n’étaient pas présentes lors de mon deuxième atelier. Leur absence a entraîné moins de dynamisme dans le déroulé de l’atelier. J’ai donc décidé, lors de mon deuxième test, de proposer un projet qui avait émergé lors du premier atelier sur les “projets existants” et qui suscitait leur intérêt. Les femmes étaient plus investies dans l’atelier et se sont approprié l’outil en proposant leurs propres idées.
- Cependant, dans le deuxième test j’ai eu des participantes différentes, dans le groupe, deux personnes avaient des difficultés à comprendre le français. L’outil a éveillé leur curiosité et j’ai constaté qu’elles voulaient partager leurs idées. Cependant, cela a parfois ralenti la dynamique du groupe, car j’ai sollicité la participation de toutes les femmes. J’ai dû adapter mon discours à ces participantes, en prenant en compte les autres femmes présentes. J’ai remarqué que cela freinait quelque peu les échanges entre les participantes et la référente du groupe, et ne créait pas une dynamique propice à l’implication.
Suite à cet atelier, j’ai décidé de le tester avec un autre groupe de personnes issues de l’immigration, plus jeunes. Ce groupe était composé d’étudiantes âgées de 20 à 22 ans, que j’ai rencontrées dans l’association Tesslab, située à Hautepierre. Mon objectif était de comprendre si mon outil fonctionnait mieux avec ce groupe et s’il suscitait une dynamique favorable à l’implication dans un projet collectif. Pour cela, j’ai ajouté une fiche “retour d’avis sur l’atelier” afin d’obtenir les informations nécessaires pour envisager des pistes d’amélioration. Ce test m’a permis d’avoir une vision plus globale de l’outil.
L’atelier a créé un échange dynamique entre les participantes et a suscité leur envie de s’impliquer dans un projet qu’elles ont discuté pendant l’heure de l’atelier. J’ai réalisé que quelques questions clés étaient nécessaires à retravailler pour faciliter la compréhension.
En discutant avec N., une étudiante en psychologie, elle m’a fait part de son ressenti : “On ne se rend pas compte, mais le fait de proposer des supports sur lesquels on peut inscrire nos idées permet de visualiser. Cela fait une grande différence, surtout lorsque tu intègres cet outil à un public qui n’est pas habitué à le faire.”
L’outil a beaucoup mieux fonctionné avec ce groupe, car les conditions externes étaient différentes de celles du groupe du centre socio-culturel. Dans le groupe initial, toutes les femmes étaient des mères et étaient rythmées par un mode de vie différent. Leur perception de l’implication n’était pas la même que celle du deuxième groupe. Un travail plus long aurait été intéressant à mener avec le premier groupe, en collaboration étroite avec la référente du groupe. Étendre le projet sur une durée d’un an par exemple aurait pu permettre de créer plus d’échange avec les participantes et déconstruire au fur à mesure des échanges les limites qu’elles peuvent avoir.
Ces phases sur le terrain m’ont permis de comprendre ce qui fonctionne ou non dans les outils que je peux proposer à mon public. Néanmoins, je réalise qu’il est nécessaire de peaufiner davantage mon contenu pour cet outil, en collaborant avec des professionnels du terrain.
Suite aux retours de mon deuxième atelier, j’ai constaté qu’il était nécessaire de proposer un dernier atelier plus concret, qui permettrait de définir les compétences et les tâches nécessaires pour générer l’engagement.
Atelier 3 : Répartition des tâches
En effet, dans ce dernier atelier, je souhaite que les participantes passent à l’action en accomplissant des tâches concrètes qu’elles sont capables de réaliser. Mon objectif est de créer une dynamique de groupe qui sollicite l’esprit collectif et suscite un intérêt pour s’impliquer. Pour cela, je propose la même forme d’outil avec les bulles, mais avec un scénario différent.
Je propose de diviser l’atelier en trois parties :
Tout d’abord, je distribue une fiche intitulée “Un peu sur toi”, qui permet, à travers trois questions, de mettre par écrit les compétences et les forces de chaque participante. Elles sont invitées à travailler en binôme pour compléter les réponses de l’autre personne. L’objectif est de prendre conscience des “capacités” de chacun afin de comprendre qu’un projet collectif est composé de personnes complémentaires, dont les compétences, la personnalité et l’histoire de chacun ont leur importance.
Ensuite, je propose de décortiquer avec elles les différents types de tâches nécessaires pour réaliser le projet qu’elles ont développé lors du précédent atelier. Pour cela, j’ai créé une vingtaine de cartes co-construites avec la référente du groupe et qui présentent des tâches “types” pour mener à bien un projet. Grâce à ces cartes, un échange est initié entre les participantes pour définir la liste des tâches nécessaires au projet collectif. Ce format favorise les échanges entre les participantes et la référente du groupe. Une fois que toutes les tâches ont été identifiées, les participantes sont invitées à choisir trois tâches qu’elles estiment pouvoir accomplir. Cette sélection est facilitée par l’identification des “capacités” individuelles échangées en début d’atelier.
Mon intention en proposant ce dernier atelier est aussi de vérifier si les postures ont évolué au cours des différents ateliers. Je souhaite également recueillir les impressions des participantes sur leur implication dans des projets collectifs. Pour cela, je consacre un temps de parole lors duquel j’invite les participantes à répondre à la question suivante : “Quelle est mon idée actuelle sur l’implication dans les projets collectifs ?” En échangeant avec la référente du groupe, elle me confirme qu’il y a un manque de représentation de projets portés par des personnes qui leur ressemblent. C’est ainsi que m’est venue l’idée d’inclure, dans la partie d’échange, un moment dédié au visionnage d’une vidéo sur des projets collectifs tels que “Le Front des Mères” ou encore “Meet My Mama”, qui mettent en avant des initiatives collectives impliquant des femmes. Les échanges se poursuivent autour de ce que la vidéo leur inspire pour la suite des projets auxquels elles pourraient participer.
Pour cet atelier, je souhaite fournir une édition reprenant les retours obtenus lors de la session d’échanges. Cette édition s’adresse aux participants ainsi qu’aux travailleurs de la structure.
Mon projet de design permet, à travers les différents ateliers, de créer un processus d’implication favorisant l’échange et la réflexion. Il vise les professionnels des structures sociales telles que le centre socio-culturel, ainsi que les responsables associatifs de quartier. Les deux premiers ateliers sont destinés au centre socio-culturel en mode livrable, mais ma présence est importante lors du dernier atelier afin de valoriser la démarche qui émerge tout au long du processus.
Ma démarche de projet
En parallèle de mes ateliers, plusieurs expérimentations plastiques sur la forme de mes outils ont été menées. Mon intention est de proposer des outils qui soient didactiques et simples à utiliser pour faciliter l’échange. Chaque expérimentation est annotée pour garder trace de la démarche. Pour nourrir la recherche le dossier ci-joint, regroupe toutes mes expérimentations qui m’ont permis de faire mes choix formels.
Retour critique sur le projet
Pour aller plus loin, ces ateliers auraient pu être davantage développés en peaufinant le contenu en collaboration avec un membre responsable d’un projet associatif. Je réalise que pour rendre mes ateliers plus collaboratifs, il aurait fallu développer le projet sur une période plus longue. Cela aurait permis de concrétiser un véritable projet dans lequel les participants se seraient investis pour accomplir différentes tâches.
En conclusion, ce projet a été une opportunité pour me dépasser et mieux comprendre ma posture de designer ancré sur le terrain. J’ai appris que mon rôle en tant que designer est de favoriser un échange permanent avec les acteurs de terrain et les usagers, afin de proposer des formes de participation adaptées et inclusives.
Scénographie
Mariam Khlifi