CONTEXTE
Selon Christophe Robert, le délégué général de la Fondation Abbé-Pierre : «Le chiffre actuel tourne autour de 300.000 SDF». Le sans-abrisme s’est imposé comme un phénomène de masse. En effet, le nombre de sans-abri aurait doublé depuis la dernière étude officielle réalisée par l’INSEE en 2012 recensant 141.500 personnes. Nous sommes désormais forcés de constater dans la vie de tous les jours que ce phénomène s’est développé dans les villes et particulièrement dans leurs centres.
Ce constat s’accompagne d’un certain nombre d’interrogations, « Comment se fait-il qu’autant de personnes vivent dans la rue ? Comment ces situations ont-elles pu se banaliser ? Comment peut-on, en tant que société, accepter les conditions de vie de ces personnes ?». Toutes ces questions m’ont amené à effectuer plusieurs enquêtes de terrain au sein de l’association P.A.T.A.T.E.S, une association strasbourgeoise qui lutte contre la pauvreté. Les associations de maraudes de Strasbourg s’organisent à tour de rôle des maraudes chaque semaine en faveur des sans-abri pour leur apporter une aide alimentaire, matérielle, ainsi qu’un accompagnement pour leurs démarches administratives à Strasbourg et en périphérie.
Pouvoir être en immersion sur le terrain et côtoyer les sans-abri ont été déterminants dans le choix de la thématique de recherche de mon mémoire : « Le design comme outil de terrain pour les associations de maraudes ». Mes recherches auront fait émerger ma démarche de projet, la réappropriation des espaces en ville par les sans-abri par la création de dispositifs de hacking urbain.
PARTENAIRES
Strasbourg Action Solidarité (SAS), est une association de droit local (Bas-Rhin, Haut-Rhin et Moselle) créée le 22 septembre 2016. L’association est non confessionnelle et n’est affiliée à aucun parti politique. Elle a pour objet d’apporter une aide alimentaire et sanitaire aux sans-abri et aux personnes en situation de précarité ; effectuer des maraudes ; assure chaque semaine un accueil de jour dans le but de proposer aux sans domicile fixe un accès à un espace de discussion, de loisirs et de bien-être ; de proposer et de chercher un logement pérenne ou d’urgence aux personnes en difficulté ; et plus généralement de promouvoir toutes initiatives visant à la réalisation de l’objet de l’association.
OBSERVATIONS ET CONSTATS
Dans le cadre de mon mémoire, j’ai pu observer au sein de Strasbourg Action Solidarité que les sans-abri se partagent la ville en « zones de couches » propres à chacun, ce sont plus que de simples espaces abrités, ce sont de véritables repères constamment menacés. Entre les travaux récurrents, la privatisation des lieux publics, la multiplication des agents de sécurité, la mise en tourisme des centres-ville, ou encore le mobilier anti-SDF, le déclenchement des arrosages automatiques, les coupures d’eau, des sanitaires ou la multiplication des barrières, la recherche d’un espace d’intimité est fortement compromise.
Tous les dispositifs hostiles cités un peu plus tôt provoquent une méfiance chez les sans-abri qui auront tendance à se refermer ou être agressifs. Ces réactions deviennent des réflexes pour protéger ces espaces d’intimité.
J’ai pu constater au fil de mes observations que Strasbourg Action Solidarité effectue un long travail de prise de contact, d’écoute et de bienveillance qui mise beaucoup sur la création d’une relation de confiance essentielle pour déterminer les besoins locaux des sans-abri à Strasbourg.
J’ai pu définir deux axes de besoins en travaillant de manière horizontale avec SAS et ses bénéficiaires lors de plusieurs enquêtes de terrain en prenant en compte les différentes prestations et services proposés (par les associations ainsi que par les institutions et aménagements urbains publics) aux sans-abri dans la ville de Strasbourg.
Le 1er axe s’oriente sur l’apport de confort et d’intimité en ville dans un environnement où tout est fait pour les déplacer du centre des villes.
Le 2e axe s’oriente sur la capacité des sans-abri à gérer leurs affaires, comment les stocker et les transporter lorsqu’ils vivent dans un environnement aussi complexe que la rue.
EXPÉRIMENTATIONS ET SUIVI DE PROJET
À la suite de ces échanges et d’un certain nombre de tests de mes prototypes sur le terrain, mon projet consiste en la fabrication de plusieurs modules interagissant pour créer une station d’habitat léger sur le mobilier urbain de la ville de Strasbourg.
Séance de prototypage rapide directement sur le mobilier urbain :
Expérimentation des matériaux :
Installation finale sur le terrain :
Travailler avec des sans-abri (ou le monde de la rue de manière générale) s’est révélé assez complexe. Le manque de moyens ne permettant pas aux associations de maraude de m’encadrer à 100% sur mon projet, je ne pouvais pas tester directement avec des sans-abri sur le terrain. Le monde de la rue possédant ses propres codes, sa propre loi, ne pouvait être approché sans ces acteurs sociaux indispensables.
Mon projet était également remis en question d’un point de vue de la légalité. En effet, l’ajout de structures sur du mobilier urbain peut constituer selon la loi, un acte de vandalisme. Cependant, je maintiens ma position sur le fait que c’est la légitimité qui doit guider l’action des designers et non pas la légalité.
Donner aux personnes sans abri la possibilité de concevoir et de moduler leur propre habitat leur confère un sentiment d’autonomie et de contrôle sur leur environnement. Cela peut contribuer à restaurer leur dignité en leur offrant la possibilité de prendre des décisions et de participer activement à l’amélioration de leur situation. De plus, chaque personne sans abri a des besoins et des préférences différentes en ce qui concerne son habitat.
Il convient de noter que l’autonomie et la modélisation de l’habitat ne doivent pas remplacer les efforts pour fournir un logement sûr et stable aux sans-abri. Cependant, cette approche peut être complémentaire en offrant aux personnes sans abri une certaine liberté de choix et de contrôle sur leur environnement, ce qui peut contribuer à leur réappropriation des espaces urbains en ville ainsi que de leur réintégration sociale dans le paysage urbain.