Vies en récits est un projet de design social réalisé dans le cadre d’un mémoire de recherche mené lors du premier semestre. Ce mémoire de recherche est orienté sur le questionnement de l’isolement et de la solitude des personnes âgées vivant dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Cette recherche m’a permis de comprendre que le lien social est un aspect plus qu’important dans la vie d’une personne âgée. Beaucoup de facteurs fragilisent les relations sociales des personnes âgées, notamment la vieillesse qui est l’une des premières causes. L’isolement et la solitude sont des termes différents souvent confondus. L’isolement désigne une personne qui a très peu de contact avec les autres souvent subis, elle peut être à cause des pathologies de santé physique ou cognitive qui rendent compliqué les déplacements, et la communication rendant alors les personnes isolées des autres. Tandis que la solitude, elle, peut être choisie. Ce sentiment peut survenir lorsque la personne ne se sent plus utile pour les autres, ou ne ressent plus l’envie ou le besoin d’avoir des relations sociales. L’entrée en établissement peut être aussi l’une des causes de l’isolement et de la solitude. C’est lors de mes entretiens avec les professionnels et mon atelier outillé tester à l’EHPAD du Stift à Marlenheim que j’ai pu observer et comprendre et que les relations des personnes âgées en EHPAD sont propre à chaque personne et dépendent souvent du vécu personnel, de l’environnement amical ou familial, du caractère de la personne et de l’entrée voulu ou non dans l’institution. Beaucoup de personnes âgées ont des craintes, et des méfiances envers les autres personnes âgées souvent par méconnaissance de l’autre et de la peur d’engager des relations. Des animations sont régulièrement mises en place pour créer du lien, mais ces activités ne créent ni échanges ni lien entre les résidents. Après ce constat, je me suis demandé comment le design peut aider à favoriser le lien social et les rencontres au sein d’un EHPAD pour améliorer la relation entre les résidents afin de réduire leur isolement et leur solitude.
Projet
Pour répondre à ma problématique, j’ai orienté mon projet autour de la création de lien social entre les résidents de l’EHPAD. Il m’a fallu trouver un point d’accroche entre tous les résidents qui ont eu des expériences de vie, des cultures et des modes de vie très différents. Lors de mes recherches, j’ai pu remarquer à de nombreuses reprises que toutes les personnes âgées semblent accorder au quotidien une réelle importance aux histoires, et à leurs souvenirs passés. Il est important pour eux d’exprimer leurs expériences de vie, de partager leur passé et d’avoir de la reconnaissance. Cela semble être une source de bien-être, malgré leur quotidien en EHPAD. L’objectif de mon projet est donc d’outiller les résidents pour les aider à exprimer et raconter leurs histoires de vie. Cela va permettre non seulement aux résidents d’apprendre à mieux connaître les autres personnes qui les entourent au quotidien, d’exprimer et de valoriser leur histoire, permettre de créer de la complicité et des points communs avec les autres personnes, aider motiver les résidents pour participer davantage aux activités avec les autres résidents et surtout regagner leur confiance en soit pour leur permettre de développer leurs liens avec les autres personnes.
Rôle du designer
Quand un designer intervient dans une structure médicale comme un EHPAD il se doit d’adopter une approche particulière en prenant en compte le milieu et ces normes. Il se doit également de respecter entièrement les envies et les besoins des personnes âgées. Pour mon projet, j’ai adopté une posture de médiateur entre les personnes âgées. Mon rôle est de les outiller et de les guider le plus possible tout en leur laissant la liberté de penser, d’agir, et de respecter leur limite et leur intimité. Mes outils prennent en compte ces aspects et sont également adaptés aux personnes qui ont des troubles.
Mon partenaire
Dans le cadre de mon projet, je me suis rapproché de l’EHPAD Saint-Jean-Baptiste à Farébersviller où j’ai pris contact avec l’animatrice Mélissa Gouvion qui m’a permis de réaliser mes ateliers en me mettant à disposition une salle d’accueil de jour, ainsi que le hall de l’EHPAD. J’ai pu également prendre contact avec un groupe de 8 résidents volontaires qui se sont engagés pour réaliser mon projet.
Mes ateliers
Apprendre et rencontrer : Réminiscence des souvenirs communs
Ce premier atelier m’a permis d’avoir une première approche du terrain et de différentes personnalités des personnes âgées. J’ai pu également observer comment les personnes âgées sont à l’aise pour partager des souvenirs communs et des souvenirs plus intimes devant d’autres personnes qui sont parfois des inconnus à leurs yeux, quelle place prennent-ils au sein d’un groupe, et quels sont les thèmes qui sont le plus marquants. Cet atelier m’a permis aussi de me rendre compte des capacités et des difficultés de chaque personne. Il me semblait important pour la suite de mon projet de voir si l’expression orale était un bon moyen pour les personnes âgées de s’exprimer facilement sans avoir à passer par l’écrit ou tout autre moyen utilisant de la force dans les mains ou dans les bras. Pour ce faire, j’ai imaginé pour mon premier atelier un jeu de cartes. Un lot avec des cartes sur des questions portant sur les souvenirs d’enfance, des cartes sur les souvenirs de jeunesse et des cartes sur les souvenirs de la vie d’adulte. Et un lot de cartes image avec des photographies en lien avec les questions. Chaque résident pioche au début de l’atelier 2 cartes questions et 2 cartes images. À chaque manche de 7 minutes un résident lit au moins 1 question au groupe et chaque résident peut poser une carte image au centre de la table s’ il souhaite associer une photographie à la question. Les résidents peuvent discuter et partager leurs souvenirs tout en respectant la parole de chaque personne. Cet atelier m’a permis de réaliser plusieurs constats. L’expression orale est un médium qui permet aux personnes âgées de multiplier leurs souvenirs et facilite la réflexion. En revanche, l’expression en grand groupe réduit considérablement la parole de certaines personnes qui se sentent alors oppressées et découragées par d’autres résidents qui monopolisent le temps de parole malgré les règles mises en place.
Explorer et reconstituer : les émotions et les souvenirs du passé
Pour la suite de mon projet, j’ai réfléchi à une évolution du premier atelier. J’ai décidé de concevoir un atelier qui sera réalisé par deux ou trois personnes afin que chaque personne puisse raconter ces souvenirs sans être mal à l’aise ou découragée par d’autres personnes. C’est donc avec un livret que j’ai continué mes expérimentations de projet. J’ai conçu 3 livrets avec plusieurs thèmes : Les souvenirs de mon enfance, les fêtes populaires de ma jeunesse et mon portrait de vie à mes 20 ans. Ce livret sert de base pour réaliser tout un travail de réflexion en détail autour des différents souvenirs passés d’une personne. Ce travail sert également de support pour mon exposition sonore finale. Contrairement au premier atelier, ce livret permet de rassembler deux résidents dans un cadre plus intime et plus proche pour découvrir ensemble les points et les souvenirs communs et créer des affinités plus facilement. Le livret permet aussi un suivi plus facile des résidents. Chaque petit groupe de résidents choisit un livret de leur choix. Chaque livret contient un mode d’emploi, des cartes avec des dessins et des mots clés, des cartes photographiques, des étiquettes prénoms et des supports en tissus pour créer un patchwork de souvenirs. Dans un premier temps, le petit groupe de résidents s’approprie le mode d’emploi et les cartes afin d’avoir un moment de réflexion sur le thème choisi et discuter ensemble des événements marquants et de leurs souvenirs. Une fois cela fait chaque personne du groupe va réaliser son propre patchwork à l’aide de tissus de texture et motifs différents que j’ai récupérés et découper. J’ai choisi le tissu comme support parce qu’il a l’avantage d’offrir de nombreuses qualités auprès d’un public comme les personnes âgées. Les textures et les motifs peuvent faire renaître des souvenirs lointains aux personnes âgées et c’est un support qui peut être utilisé par des personnes avec des déficiences visuelles. Pour aider les résidents à associer leurs souvenirs aux tissus, je leur ai demandé de choisir 6 tissus : un tissu joyeux, un tissu agréable, un tissu amusant, un tissu désagréable, un tissu maussade et un tissu angoissant. Les résidents n’ont pas eu de difficultés à constituer les patchworks, mais certains ont eu plus de mal à associer les souvenirs aux tissus, il fallait donc que je réadapte mon troisième atelier pour faciliter le dialogue et la réflexion. J’ai pu néanmoins observer pendant cet atelier que les résidents avaient beaucoup d’échanges en groupe et que certains résidents ont pu découvrir qu’ils avaient des points communs et des souvenirs communs, ce qui a amené des rires et des sentiments de nostalgies. Pendant l’atelier, les groupes ont même tous échangé ensemble, partant parfois alors dans de longues minutes de discussions. Le fait que ce soit des groupes n’a donc pas empêché que tous les résidents communiquent entre eux, cela semble même mieux fonctionner quand chaque personne à un thème bien défini. Dans tous les cas, les résidents ont été ravis de leurs échanges et ont été surpris de discuter avec certaines personnes qu’elles croisent régulièrement, mais dont aucun lien ne se faisait.
Raconter et valoriser : La prise de parole
Ce troisième atelier fait suite au deuxième. J’ai pu observer que certains résidents avaient du mal à trouver et à associer des souvenirs aux tissus que je leur avais proposés. Ils leur manquaient des précisions sur les différents adjectifs et des exemples concrets. L’espace et l’environnement ont aussi beaucoup joué sur la réflexion des résidents. Les résidents n’avaient que très peu de place et les cartes avaient tendance à se mélanger sur la table, et les résidents étaient tous serrés. Cela les empêchait aussi de se concentrer, d’entendre et de parler dans un environnement très bruyant. Je me suis alors demandé comment je pouvais réadapter mon atelier facilement. J’ai donc conçu des cartes avec les adjectifs en détaillant la demande et des exemples pour aider les résidents. J’ai adapté aussi le placement des résidents en donnant une table complète pour chaque groupe ce qui leur a permis de poser correctement toutes les cartes et avoir une vision plus globale. Les groupes de résidents devaient donc s’enregistrer à l’aide du dictaphone et du mode d’emploi à leur disposition. L’atelier a bien fonctionné, les résidents semblaient heureux de pouvoir s’enregistrer ensemble et de pouvoir partager leurs souvenirs aux plus grands nombres.
Exposition sonore interactive : Partage et enrichissement, vers de nouveaux récits…
Le projet s’est déroulé avec un nombre restreint de résidents. J’ai voulu réaliser une exposition sonore interactive avec le travail des résidents présents aux ateliers pour toucher le plus grand nombre de résidents et même au-delà avec les familles et le personnel de l’EHPAD. Je voulais observer comment les autres résidents allaient s’approprier l’exposition et interagir avec celle-ci. Mon objectif était de permettre aux autres résidents de pouvoir, eux aussi, partager et raconter leurs souvenirs, de créer une complicité et du lien entre tous les résidents et d’inclure les résidents qui sont réticents aux activités et ainsi les motiver à participer à d’autres activités. L’exposition a été placée dans le hall de l’EHPAD le temps d’une après-midi. Beaucoup de résidents sont venus alors qu’ils étaient de passage et sont restés souvent une heure. Seulement, quelques résidents ont touché l’exposition interactive et ont discuté avec les résidents présents lors de mes ateliers. Même si les autres résidents n’ont pas participé, ils sont tout de même restés et ont écouté les autres résidents. Il m’a quand même été compliqué de gérer les sons et l’environnement. Le hall est un grand espace où il y a de la résonance et des bruits extérieurs. Certains résidents n’ont pas pu comprendre ce qui a été dit lors des enregistrements à cause de leurs pathologies, mais n’ont tout de même pas été exclus du groupe.
Conclusion
Je suis fière d’avoir pu mener ce projet, il m’a permis de rencontrer des personnes vivant en EHPAD et j’ai pu me rendre compte que ces personnes ont aimé discuter et ont tellement de choses à offrir. Leurs souvenirs et leurs histoires sont des choses précieuses, qui leur tiennent beaucoup à cœur dans leur quotidien. Pouvoir les aider en les outillant a été un bonheur pour moi, ainsi que de les voir parler avec de l’entrain et de la joie. Réaliser un projet en EHPAD n’a rien de simple, c’est un environnement strict avec beaucoup de règles et de préjugés. J’ai été confronté à de la joie et de la bienveillance, mais aussi à des choses difficiles comme la tristesse et la maladie de certains résidents. Néanmoins, mon projet a pu aider les personnes âgées à se sentir moins seules et isolées. Les personnes ont été heureuses d’être valorisées et comprises. Les souvenirs peuvent être malgré tout un sujet délicat auprès de certaines personnes, qui peuvent leur rappeler de mauvais moments, des regrets, de la tristesse, des blessures et leur rappeler qu’elles sont en EHPAD parfois seules. Mais j’ai pu remarquer que les résidents ont quand même créé un certain lien entre eux pendant les différents ateliers et même parfois en dehors grâce aux observations du personnel. De plus mon projet a pris aussi une autre dimension, celle de créer du lien entre les résidents, les familles et le personnel. Pendant les ateliers, des familles et des membres du personnel étaient parfois présents et même lors de l’exposition. Cela a créé des moments riches en émotions. J’ai eu également des retours de la part du personnel. Cela les a aidés à en apprendre davantage sur les résidents et pourra dans l’avenir réadapter leurs ateliers pour répondre aux mieux aux attentes des résidents. Ils m’ont également confié que mon projet a servi à motiver certains résidents qui étaient réticents aux ateliers proposés par l’établissement. Mon projet inclut un grand nombre de résidents, malheureusement il ne peut pas répondre à tous les résidents d’un EHPAD. Certains résidents avec une grande dépendance cognitive sont limités dans la participation et aux discussions avec les autres résidents et d’autres ne souhaitent tout simplement plus avoir de lien. L’exposition interactive pourra être gardée par l’établissement afin qu’elles soient utilisées régulièrement et adaptées par de nouvelles histoires. Et qui pourra servir aussi pour l’arrivée de nouveaux résidents afin de les aider à créer du lien avec les anciens résidents.