Lors du premier semestre de cette année, j’ai orienté ma recherche de mémoire sur l’isolement des personnes âgées en Ehpad. Cette recherche m’a montré que l’une des raisons pour lesquelles ces personnes sont isolées du reste de la société, c’est parce qu’au delà de l’image négative de la vieillesse et des établissement d’hébergement en France, un écart de plus en plus grand sépare la plus jeune et la plus vieille génération. En plus d’être mise à l’écart physiquement dans un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les résidents en Ehpad ont peu voire plus de lien social avec les jeunes.

À travers ce projet de diplôme, j’ai donc voulu voir comment le design pouvait intervenir pour aider à réduire l’isolement des personnes âgées en Ehpad, tout en prenant en compte le contexte sanitaire délicat qui peut empêcher des rencontres physiques.
Étant donné le manque d’interactions entre les plus jeunes et les plus vieux, mon projet vise à créer du lien social intergénérationnel pour répondre à cette problématique.

Atelier Cartes Postales

J’ai souhaité travailler sur un objet ou un service qui permet de créer du lien social entre des jeunes étudiants et des personnes âgées en Ehpad.
Il m’a fallu d’abord tester certaines approches lors d’un premier atelier qui m’a permis d’observer comment les participants sont à l’aise pour partager des choses plus ou moins intimes à un inconnu. Il permet également de voir si l’écrit peut être un médium adapté à un échange, surtout pour les personnes âgées compte tenu des différences d’autonomie de chacun.
Ce premier atelier consiste en la création et la rédaction de cartes postales destinées à un inconnu à qui on raconterait un souvenir, partagerait son expérience… Premièrement on réfléchit à un souvenir ou une expérience que l’on veut partager, puis on illustre cette histoire grâce à un collage composé d’un fond, d’un décor et de détails rajoutés à l’aide de feutres et de tampons. On finit ensuite par écrire cette histoire au dos de la carte postale.
Cet atelier s’est déroulé sur une seule session, à l’Ehpad Ermitage d’Illkirch, avec un groupe de dix participantes, avec l’aide de l’animatrice Laure Ruzza et d’une camarade.

Kit de correspondance Le temps d’une lettre

Pour la suite du projet, il m’a fallu absolument avoir des jeunes participants et aussi faire évoluer cette idée de correspondance par l’écrit.
C’est donc avec un kit que j’ai continué mes expérimentations de projet. Il permet à un binôme étudiants / résident en Ehpad de pouvoir correspondre. Il s’agit d’écrire une lettre selon une thématique choisie parmi différentes étiquettes thématiques proposées (mon portrait, ma vie à 20 ans, un souvenir d’enfance, une recette et 2 étiquettes personnalisables). Une fois la lettre écrite, il faut l’illustrer sur un dépliant en accordéon, un leporello, à l’aide d’un collage de formes de papiers découpés et de détails dessinés au feutre. Il faut ensuite plier la lettre d’une certaine façon afin qu’elle devienne une enveloppe pour pouvoir envoyer le leporello. Ainsi celui-ci voyage à chaque échange alors que les lettres sont gardées par la personne qui les reçoit.
J’ai trouvé que la technique du collage était intéressante à utiliser encore ici car elle permet la création d’une illustration facile et accessible même à ceux qui ne sont pas à l’aise avec le dessin.
Contrairement à l’atelier des cartes postales, ce kit s’utilise individuellement. Ainsi , il est plus simple d’accompagner les personnes âgées qui peuvent avoir besoin d’une aide pour certaines étapes de l’atelier.

Le début des tests du kit a commencé avec les étudiantes Lucie et Manon. Je leur ai fait tester le kit de manière totalement autonome afin de vérifier la bonne compréhension du protocole, détaillé dans ce petit livret.
En prenant en compte leurs remarques et ce qui a été observé pendant ces deux tests, il a été possible de corriger certains détails du protocole avant le test avec les personnes âgées.
En ce qui concerne l’utilisation du kit avec les personnes âgées en Ehpad, il a fallu accompagner les participantes dans les étapes qui nécessitent de la motricité au niveau des doigts et des mains, comme l’écriture de la lettre, le collage des formes en papier et de l’illustration des détails au feutre. Cela n’empêche pas la créativité des participantes qui guident la personne qui réalise ces étapes à sa place. Au fur et à mesure des tests, les participantes étaient de plus en plus à l’aise avec l’utilisation du kit. Ceci était visible dans le contenu de la lettre avec un partage de choses de plus en plus personnelles, on voyait un intérêt notable pour ce que l’autre partage, mais aussi dans la création des illustrations en collage de plus en plus poussées et détaillées.

Il a été possible d’observer des différences dans les échanges entre les deux binômes. Dans l’échange de Jacqueline et Lucie, on constate un souhait d’obtenir des conseils de Jacqueline basés sur son expérience et qui pourraient aider Lucie à l’avenir. Les lettres contiennent des questions qui obtiennent des réponses dans les lettres d’après. Dans l’échange entre Annie et Manon, on peut lire un échange plus sobre ou chacune partage ses expériences, ses souvenirs…sans pour autant qu’il y ait de lien entre chaque lettre.
Dans les deux cas, les participantes étaient ravies de leur échange. Les résidentes ont exprimé le fait qu’elles étaient contentes que quelqu’un prenne le temps de leur écrire.
Les jeunes étudiantes ont trouvé l’échange enrichissant et cela leur a permis de pouvoir nouer des liens avec une personne avec qui elles ne pensaient pas échanger aussi facilement, à cause du fait qu’elles soient en Ehpad et qu’elles n’auraient jamais rencontré ces personnes en temps normal.

Conclusion

Je suis fière d’avoir mené ce projet car il m’a permis de rencontrer des nouvelles personnes résidentes en Ehpad et j’ai pu voir à quel point elles ont apprécié parler avec des jeunes étudiantes.
Mener un projet en Ehpad n’est pas simple, c’est un environnement où l’on peut trouver de la bienveillance auprès de certains résidents, comme être confronté à des choses plus difficiles comme la solitude, la maladie ou la mort.
Mais avec ce projet, j’ai pu me rendre compte assez rapidement que cela pouvait aider les personnes âgées à se sentir moins isolées même si cela pouvait aussi leur rappeler qu’elles sont seules dans ces établissements, faire ressurgir des blessures et des regrets.
Pendant les différents tests du kit à l’Ehpad, j’ai pu voir que même si un lien se créait entre les deux correspondantes, il y avait un lien bien plus fort qui se créait entre les résidentes et moi-même. Lorsqu’elle racontait leurs souvenirs dans les lettres, elles me le racontaient d’abord à moi et on échangeait beaucoup en plus de faire l’activité. Malgré cela, les participantes ont assez rapidement exprimé le souhait de rencontrer physiquement leur correspondante, ce qui est la preuve de la naissance d’un lien social intergénérationnel.
Enfin, c’est aussi là que je me suis rendue compte qu’on ne pouvait pas aider tout le monde: ce kit n’est finalement accessible qu’à des personnes qui ont encore toute leur tête et qui peuvent encore s’exprimer. Cela concerne donc qu’une petite proportion des résidents en Ehpad.
Pour clôturer ce projet auprès des participantes, j’ai réalisé un objet de restitution qui retrace tout l’échange épistolaire qu’elles ont eu avec leur correspondante. Cela prend la forme d’une petite enveloppe pour rappeler les codes du kit et on y trouve une brève explication du projet et toutes les lettres accompagnées de leur illustration. Cela permet aux participantes de garder trace d’un échange intergénérationnel qui aura duré le temps de quelques lettres.