Contexte
Mes recherches et mes rencontres, réalisées dans le cadre de mon mémoire, m’ont permis d’établir ma problématique de projet qui est la suivante : Comment le designer peut-il intervenir pour faciliter la compréhension des maladies mentales et ainsi venir en aide aux patients ?
À l’aide de cette problématique, par mon projet, je souhaite venir en aide aux personnes atteintes de maladies mentales, mais aussi à leurs proches, car tout au long de ma recherche, j’ai pu constater que les proches, étaient pour les personnes atteintes de maladies mentales l’un des piliers de l’acceptation de soi et qu’ils jouaient un rôle important dans leur parcours du soin. Alors qu’ils sont concernés de près par la maladie mentale, ils en sont bien souvent exclus par le manque d’explication du diagnostic et le vocabulaire médical complexe qui crée des incompréhensions. Ajouté à celles-ci, vient également le poids du regard social et le fait de devoir accompagner l’intégration du diagnostic de leur proche avant même qu’ils ne l’aient intégré et compris ses conséquences. Le diagnostic une fois intégré marque souvent inconsciemment le fait que désormais tout sera différent et crée une « rupture ». Le dialogue est alors bien souvent rompu. De plus, les proches doivent s’accommoder à leur nouveau rôle, ils deviennent ce qu’on appelle des aidants. Selon la protection sociale française, le terme aidant définit toute personne qui apporte un soutien à une personne dépendante dans l’accomplissement des actes essentiels de la vie courante ou qui a besoin d’une surveillance quotidienne et régulière.
Ce changement de rôle ne s’intègre pas facilement, d’autant plus qu’ils n’y sont pas formés. Le personnel médical débordé, ne peut prendre le temps de prendre en charge l’aidant pour les guider dans ce nouveau rôle. Les aidants doivent alors se tourner vers des structures d’accueil, mais celles-ci restent peu répandues. C’est pourquoi par mon projet, je souhaite outiller aidant et aidé pour que les aidants ne se sentent plus démunis face à la pathologie de leur proche, qu’ils puissent mieux la comprendre et donc devenir acteur du parcours de soin de leur proche.
Mon partenaire
Pour mener au mieux mon projet, j’ai décidé de travailler en partenariat avec l’Unafam ( Union National des Amis et Familles de Malades psychiques). Cette association nationale, reconnue d’utilité publique, est née en 1963, elle accueille, écoute et soutien les personnes atteintes de maladies psychiques et leurs proches. En février, j’ai eu l’occasion de participer à un groupe de parole accueillant des proches de personnes atteintes de schizophrénie encadré par Michelle Escudié la directrice de L’Unafam et du Psychiatre Fabrice Berna. Ce premier groupe de parole m’a permis de prendre note des problématiques que pouvaient rencontrer les proches des personnes atteintes de schizophrénie. Je me suis alors intéressée aux problématiques suivantes : comment gérer les émotions de mon proche et comment retisser des liens ?
Mes prototypes
Premier prototype
Je suis partie de l’hypothèse que le designer peut intervenir en faveur de la compréhension des maladies mentales par un outil facilitant le dialogue entre patients et aidants par la création d’un support d’échange. J’ai alors travaillé sur un prototype de kit permettant aux usagers d’exprimer leurs ressentis, émotions et besoins que j’ai testé au groupe de parole suivant.
Résultat
Le test a très bien fonctionné et les usagers se sont montrés enthousiastes à son l’utilisation. J’ai pu observer grâce à ce test que l’utilisation de matières permettait d’évoquer des sentiments sans forcément les désigner directement et qu’elles permettaient d’ouvrir le dialogue mettant en lumière les besoins qu’engendraient ces sentiments. Les cartes besoins ont également très bien fonctionné, mais étaient trop nombreuses. Les sensations décrites méritaient d’être dissociées pour que l’usager puisse mieux décrire ses ressentis.
Ce test m’a aussi montré que le kit pouvait être approprié de différentes façons et répondre aux envies de chacun.
Seconds prototypes
À la suite de cet atelier, j’ai donc décidé de m’intéresser à la synesthésie des matières.
J’ai alors travaillé sur deux pistes de projets à travers des variables de mon hypothèse qui étaient : Le designer peut intervenir en faveur de la compréhension des maladies mentales par une cartographie sensible des émotions facilitant le dialogue entre patients et aidants. Et : Le designer peut intervenir en faveur de la compréhension des maladies mentales par un objet sensoriel facilitant le dialogue entre patients et aidants. J’ai alors établi le scénario de la cartographie sensible et celui de l’objet sensoriel. J’ai ensuite présenté ces deux scénarios au groupe de parole avec un prototype papier de la cartographie sensible et de l’objet sensoriel. Les aidants ont alors préféré le scénario de l’objet sensoriel qui serait plus susceptible de fonctionner avec les aidés.
MAUXTUS
Mauxtus est un outil qui a pour objectif d’ouvrir le dialogue entre aidé et aidants en faisant appel à la synesthésie des matières et a la suggérassions par des formes géométriques. Dans un premier temps, les usagers déplient un plateau sur lequel ils viendront individuellement associer une matière à une émotion, puis ils évoqueront ce que leur procure cette émotion en général à l’aide des cartes sentiments (les sentiments sont représentés par des formes géométriques pour une libre appropriation de leur signification.). Enfin, ils retranscrivent sur le plateau ce dont ils ont besoin lorsqu’ils ressentent cette émotion.
Dans un second temps, ils ouvrent la partie inférieure de Mauxtus et se saisissent des pyramides et des modules sentiments et émotions. Ils retranscrivent individuellement la dernière émotion qu’ils ont ressentie avec leur binôme, ce qu’ils ont ressenti et ce qu’ils pensent qu’à ressenti leur binôme. Une fois que chacun a fini, ils assemblent leurs pyramides et discutent de ce que chacun a ressenti. À la fin de cette discussion, l’aidé repart avec le kit. Il pourra se servir des modules pour créer son objet sensoriel avec les matières et les textures qu’il souhaite pour apaiser son anxiété lors de ses phases maniques et dépressives. Il pourra aussi le réutiliser avec les personnes de son choix lorsqu’il ressent le besoin d’exprimer ses émotions sans en discuter directement. L’aidant quant à lui peut s’il le souhaite repartir avec le plateau de l’aidé et s’en servir de base de données qui lui permettra de mieux cernés les besoins de l’aidé et savoir comment lui venir en aide.
Scénario
Réalisation
Une fois mon scénario final établi, j’ai pu me lancer dans la fabrication de tous mes éléments. Tout d’abord, j’ai choisi de réaliser tous mes éléments en tissus (sauf les cartes) car c’est un matériau qui est facilement manipulable et qui offre une grande variété de textures. J’ai réalisé dans un premier temps une matériauthèque, en m’intéressant à quelles textures étaient affiliées aux différentes émotions. Pour cela, j’ai effectué un sondage auprès de mes proches. En me basant sur les résultats, j’ai recueilli 12 types de tissus différents qui allaient permettre aux usagers de représenter les différentes émotions. Au cours de ma recherche, j’ai pu constater que la connotation des couleurs pouvait influencer les usagers dans leurs choix. Pour éviter toute connotation, j’ai décidé d’utiliser un nuancier de bleu plus ou moins foncés et vibrant pour laisser une libre interprétation aux usagers. Concernant la forme choisie, j’ai décidé de réaliser une pyramide, après avoir réalisé des prototypes des différentes formes que j’avais envisagé (ronds, cubes, polygone, demi-sphères). Je trouvais que la pyramide était la forme qui était la plus agréable à tenir en main tout en permettant une lecture des différents éléments. Pour le remplissage de celle-ci, j’ai testé différents rembourrages : avec du riz, des lentilles et des noyaux. Le touché était très intéressant, mais on m’a fait remarquer que c’était un peu lourd. Je les ai alors remplis de Ouat pour conserver de la légèreté, mais obtenir quand même un touché intéressant.
Il me restait alors à trouver un système permettant de fixer mes modules sur la pyramide, après avoir testé un système de boucle et des scratches. J’ai décidé d’utiliser des aimants pour que cela soit invisible et plus simple pour les usagers. Les cartes besoins de l’atelier précédent ont été triées et retravailler à un nouveau format. Pour les cartes sentiments, permettant d’évoquer des ressentis. J’ai décidé de signifier des sentiments à l’aide de formes géométriques pour laisser une libre interprétation aux usagers. J’ai choisi d’utiliser la typographie Luciole, qui est une typographie créée pour les malvoyants et d’adapter toutes les couleurs de ma charte graphique également pour les déficients visuels pour apporter plus d’inclusivité à mon projet. J’ai décidé d’appeler mon projet Mauxtus en référence à l’origine latine du mot émotion qui est « Motus», mais aussi à l’expression «motus et bouche cousue» qui fait écho aux tabous qui entourent les maladies mentales. Il s’orthographie «Mauxtus» pour faire référence aux «maux» qu’engendrent les pathologies. Mauxtus a donc pour objectif de mettre fin aux maux et de mettre des mots sur les maux.
Test
J’ai réalisé ce test à l’UNAFAM bien que Mauxtus est censé être utilisé dans un cadre privé. Le test a bien fonctionné, cependant les usagers m’ont fait remarquer qu’il faudrait des matières plus rugueuses pour évoquer la peur et la colère. Que les cartes besoins étaient trop nombreuses, j’ai alors suggéré d’utiliser des cartes blanches sur lesquelles les usagers viendraient écrire leurs besoins, mais ils m’ont fait remarquer que le fait de suggérer des choses les aidait à exprimer leurs besoins. Il faudrait peut-être alors qu’en plus des cartes besoins illustrées, je laisse quelques cartes blanches. J’ai pu aussi constater que mon outil pouvait être divisé en deux parties, car l’ensemble était un peu long et que chacune des parties permettaient d’évoquer des choses et de déclencher un dialogue, mais de façon différente. La première partie pourrait être suffisante si l’aidé est dans une démarche de communication et la seconde partie, permet quant à elle aux personnes qui ont plus de mal à communiquer de le faire à travers l’objet. Michelle Escudié m’a aussi fait remarquer que cela pouvait être un bon outil pour les professionnels de santé, mais que dans un cadre privé, il faudrait peut-être être accompagné par un professionnel, car cela peut faire rejaillir des choses et qu’il peut être important de les accompagner par la suite.
Poursuite de la recherche
Pour poursuivre ma recherche, j’envisage la possibilité de transmettre les données au professionnel de santé qui suit le patient via une application de suivi ou le patient pourrait transmettre ses données jour par jour. Cela lui assurerait un suivi, et lui permettrait de voir quels éléments peuvent déclencher des crises. L’aidé autoriserait le partage de ses données avec ses proches ou non lorsqu’il en ressent le besoin.
CONCLUSION
En conclusion, je dirai que le designer peut donc intervenir pour faciliter la compréhension des maladies mentales en permettant aux aidés de faire part de leurs sentiments, émotions et besoins à leurs proches par la création d’un langage commun par une approche synesthésique à l’aide de matières qui permettent de signifier des choses sans en parler forcément directement lorsque la communication s’avère compliquée. Ainsi, les aidants et proches peuvent mieux cerner les besoins et les ressentis des aidées et intervenir en faveur de leur bien-être, qui par la suite agit alors permet alors aux patients d’accepter leur pathologie et améliore leur parcours du soin.