En mai 2020, j’ai formulé une question de recherche qui était : comment un designer peut intervenir dans la mise en place d’un projet collaboratif avec des personnes en situation d’exclusion sociale ? Je suis partie de cette question pour axer mon travail de mémoire et de projet.
La réalisation de mon mémoire m’a permis d’aboutir à la problématique suivante : Quels outils et méthodes le designer pour l’innovation sociale peut-il mettre en place pour permettre aux usagers d’intervenir dans la négociation, la définition et la réalisation d’un projet collaboratif ?
Pour éprouver cette problématique, je souhaite intervenir au sein d’un projet collaboratif du MOAF (le Module d’Orientation et d’Apprentissage du Français, où des personnes âgées de 16 à 18 ans consacrent une année scolaire à l’apprentissage du français), durant lequel j’expérimente des outils et des méthodes de design participatif permettant aux usagers de prendre part à l’élaboration et la réalisation du projet. J’affirme aussi vouloir centrer ce projet sur la céramique et transmettre différentes techniques de ce savoir-faire. En revanche, au début de la réalisation de mon projet, j’ai constaté que cet aspect n’est pas nécessaire pour éprouver ma problématique et qu’il est plus pertinent que mon projet réponde à une demande formulée par l’équipe pédagogique du MOAF.
Lien vers l’article sur mon mémoire
Le principe général de mon projet
J’ai donc répondu à la demande suivante : créer un support mettant en lien les parcours de vie passés et les intentions pour le futur de chaque élève du MOAF. Ce support doit être déplaçable et exposable.
Ce projet a pour objectif de créer un lien entre les élèves du MOAF, qui se répartissent en deux classes, par le récit de leurs expériences de vie. Il vise aussi à ce que chaque personne se projette dans le futur en parlant de ses projets de vie et professionnels. Il fait également le lien avec d’autres projets, comme la réalisation d’interview de Chibanis, permettant que les enseignements se répondent et forment un tout. Les élèves du MOAF prennent ainsi contact avec des intervenants différents, entre des professeurs, des stagiaires, des personnes en service civique et des étudiants, par la réalisation de projets variés. Ceci ouvre leur esprit à différents champs des possibles.
Suite à cette demande, j’ai ainsi pensé à un projet inspiré de “Cartographie traverses”, une initiative réalisée par douze demandeurs d’asile, deux chercheurs en géographie et quatre artistes. Ensemble, ils avaient pour objectif de présenter la migration, ainsi que les politiques liées, dans toute leur complexité. Pour y parvenir, ils ont réalisé différentes cartes sensibles en papier, en tissus, en argile ou à partir de bandes sonores, permettant à chaque demandeur d’asile de s’exprimer sur son expérience migratoire.
Lien vers l’article sur le projet “Cartographie traverses”
Des images du projet, trouvées sur : https://visionscarto.net/cartographies-traverses
J’ai donc imaginé un projet où chaque participant présente son parcours de vie passé et futur de façon sensible sur un même support. Différents ateliers participatifs rythment le déroulement du projet. Ce sont ces ateliers qui m’ont permis d’expérimenter des outils et des méthodes de design participatif.
Les scénarios de mon projet
Les ateliers participatifs et leurs variants
L’atelier des parcours individuels
Le premier atelier consiste à ce que chaque participant présente, sur une feuille, son parcours individuel.
Le matériel de cet atelier
Lien vers les pictogrammes m’ayant inspirée
Ceci permet à chaque personne de bénéficier d’un brouillon pour ensuite intervenir sur la carte. De mon côté, je peux utiliser ces données pour créer la légende de la carte et voir quels pays je dois présenter sur le support.
La réalisation de cet atelier
J’ai établie une version variante de cet atelier, qui vise à ce que les participants détaillent davantage leurs étapes de vie.
Le scénario du variant de cette étape
L’atelier des portraits
Durant cet atelier, les participants se sont dessinés entre eux. Ils ont également créé leur portrait chinois et se sont imaginés en tant qu’animal, plat et musique.
Le matériel de cet atelier
Cet atelier avait pour objectif de faire créer aux participants leur portrait du visage et leur portrait chinois pour établir des étiquettes présentant leur personnalité influencée par leur parcours de vie et les cultures ayant environnées leur passé. Celles-ci sont exposées au début et à la fin du tracé de chaque parcours sur la carte.
La réalisation de cet atelier
Les différents portrait réalisés
Les différents portraits chinios réalisés
J’ai pensé à une version variante de cet atelier, qui cherche à ce que chaque élève dessine.
Le scénario du variant de cette étape
La réalisation de la carte
Nous avons ensuite créé la carte ensemble.
Le matériel de cet atelier
Les pictogrammes m’ayant inspirée pour la création du matériel
Chaque participant a ainsi présenté son parcours. Cette étape a été un moment de réalisation collectif où les personnes ont pu échanger sur leur vie et découvrir les histoires des autres.
La réalisation de cet atelier
La carte réalisée
Je pense qu’il serait pertinent de modifier le déroulement de cet atelier, afin que les élèves portent plus d’attention aux sens des figurés de la légende.
Le scénario du variant de cet atelier
L’atelier des retours
Pour finir le projet, nous avons réalisé un atelier pour connaître l’avis des participants et de l’équipe pédagogique.
Le matériel de cet atelier
La réalisation de cet atelier
Les résultats de cet atelier
Durant cet atelier, les participants étaient libres d’écrire ce qu’ils souhaitaient, ce qui est intéressant car ça m’a permis d’obtenir des témoignages divers. En revanche, j’ai constaté que ces personnes, qui apprennent le français, ont du mal à exprimer ce qu’ils pensent à l’écrit. Voici un scénario qui vise à minimiser ces difficultés :
Le scénario du variant de cet atelier
La place du designer dans mon projet et celle dans le design participatif
Durant mon projet, j’ai constaté que les participants interviennent dans la réalisation de la carte grâce à différents ateliers participatifs, mais ils ne prennent pas part à la conceptualisation de la carte : ils ne pensent pas à la forme que va prendre leur parcours de vie, au support d’affichage et à l’univers visuelle du projet. Ainsi, ce travail ne répond pas entièrement à mes intentions de projets, qui sont de permettre aux participants d’intervenir dans l’élaboration et la réalisation de la carte. Il est donc intéressant de se demander si les ateliers que j’ai mis en place sont bien des ateliers en design participatif.
Dans le projet “Faites la place”, réalisé en 2016, le collectif Faites organise un projet de design participatif, où les usagers prennent part à l’élaboration et la réalisation de l’initiative. Ce collectif crée un lieu de recherche-action au sein duquel les habitants du 19ème arrondissement de Paris réalisent différentes expérimentations vis-à-vis de leurs idées sur la réhabilitation de la place des fêtes. Ce projet passe, premièrement, par une étape de construction, où ses acteurs bâtissent, durant des chantiers collectifs, le lieu CAPLA (CAbanon de la PLAce), un lieu de formulation d’idées. En août, il s’y déroule une permanence avec quatres ateliers thématiques sur l’écoute, le jeux, le végétal et les saveurs. Durant ceux-ci, les usagers conçoivent, construisent et expérimentent ensemble. En septembre et octobre, les habitants créent de nouvelles propositions culturelles, éducatives et festives pour la place.
Lien vers un article sur le projet
Des images du projet, trouvées sur : https://plateforme-socialdesign.net/en/decouvrir/faites-la-place
Le projet Kimo, du collectif YA+K, est aussi un projet en design participatif. Il permet aux habitants de la ville d’Ivry sur scène de formuler des idées et de les expérimenter vis-à-vis de l’identité, du programme, de la conception et de la réalisation du mobilier pour la maison de quartier de la ville. Tout ceci se passe au sein d’un lieu de création et d’expérimentation commun, dans un conteneur-micro équipement mobile, où se trouve un fab-lab et se déroule des ateliers de bricolage.
Des image du projet, trouvées sur : https://plateforme-socialdesign.net/fr/decouvrir/kimo
Dans l’article “Concevoir en portant attention aux milieux, études sur les modalités d’exposition du design de la participation”, Marine Royer dit que : “Si, une grande partie du travail du design est de représenter des formes absentes, les designers de la participation exposent avant tout des “ images de pensées” créées pour “apprivoiser ce que le langage est impuissant à saisir : le surgissement de la pensée dans son effervescence secrète”.”
Elle affirme ainsi que le designer de la participation met en place des outils pour permettre aux usagers de formuler leurs idées vis-à-vis du projet. C’est ce que réalise le collectif Faites avec son espace CAPLA et le collectif YA+K avec la création de son conteneur.
Durant mon projet, je n’ai pas réalisé d’atelier de formulation d’idées. Ceci est dû au fait que, lors de son élaboration, je l’ai pensé en tant que chose finie, en détaillant chaque étape pour arriver à un résultat précis. Or, dans un projet de co-création, on se sait pas vers où l’on va dès le début du projet. Ceci dépend des idées des participants. Je pensais aussi que permettre aux usagers d’intervenir dans la réalisation d’un projet était suffisant pour faire du design participatif.
Ce manque de considération des participants dans l’élaboration de mon projet se ressent, par exemple, au moment de la conception de l’univers de la carte. Je l’ai établie seule, à partir de différentes expérimentations réalisées.
Les expérimentations
Pour pallier ce manque, j’ai donc pensé à un atelier que j’aurais pu mettre en place pour répondre davantage à mes intentions de projet, permettant aux participants de définir l’univers de la carte.
Le scénario de l’atelier
Pour améliorer mon projet, j’aurais également pu penser à des ateliers permettant aux usgares de penser à la façon dont ils souhaitent représenter leur parcours de vie et au support où ceux-ci sont affichés.
Conclusion
Au cours de ce projet, j’ai pu mettre en place des ateliers pour faire participer les élèves du MOAF à la réalisation du projet. J’ai également pensé à des variantes de ces ateliers pour que les participants détaillent davantage leurs parcours de vie, que les visuels des étiquettes soient plus variés, qu’ils respectent davantage les sens des figurés, etc.
La réalisation de ce projet m’a surtout permis de m’outiller vis-à-vis de la mise en place de projets collaboratifs, où la forme du projet n’est pas définie dès le départ, mais s’établit avec les usagers grâce à des dispositifs leur permettant de formuler leurs idées. Je me rends donc compte que, pour que mes ateliers soient des ateliers en design participatif, il aurait fallu qu’ils permettent aux participants d’intervenir dans l’élaboration du projet, comme pour le projet “Faites la place”, le projet “Kimo” et mon hypothèse d’atelier vis-à-vis de l’univers de la carte.
Marine Royer conclut son article en affirmant que le rôle d’un designer en design participatif est d’exposer les idées et expérimentations des usagers vis-à-vis de nos façons d’habiter la terre, pour créer, par l’intelligence collective, de nouvelles constructions sociales, culturelles et environnementales. Elle définit donc bien le design participatif, en déclarant :
“Profitant de la réflexion sur l’anthropocène et l’envisageant comme un moment culturel et esthétique réflexif, de prise de conscience de notre condition vulnérable — à la fois et en même temps globale et locale —, il semblerait que le design de la participation questionne notre implication directe dans cette vulnérabilité systémique et tente de redéfinir de nouvelles façons d’habiter la Terre, notamment via ces expositions. Il s’agit bel et bien de profiter de ces moments de monstration pour reconnaître cette vulnérabilité et de les transformer en vecteur d’action collective.”