Mémoire – intimité et infirmité

“Le travail du care est inestimable parce qu’il ne se mesure pas —comment mesurer un sourire— et parce qu’il est ce qui a le plus de valeur.” 


(Caroline Ibos, Aurélie Damamme, Pascale Molinier, Patricia Paperman, Vers une société du care, une politique de l’attention, p. 113, le travail du care, édition le cavalier bleu, 2019.)

Ce qui ne se mesure pas, qui est impalpable, mais aussi la créativité et le travail manuel, ont depuis toujours été le centre de mes préoccupations. C’est l’idée selon laquelle la créativité, la sensibilité et le partage permettent une réponse à des problèmes sociaux qui ont été l’élément déclencheur de mon projet de fin de diplôme.

En effet, si “imagination et soin nous permettent de constituer un rapport au monde, de rendre habitable le réel( Cynthia Fleury, Le soin est un humanisme, p. 11, collection Tracts, de Gallimard, mai 2019), comment, à notre échelle, et avec pour outil le design, pouvons nous fournir aux autres le care dont ils ont besoin ? 

Voici mon mémoire qui retrace le cheminement qui m’as permis d’affiner ma problématique, pour finalement me demander : comment le design peut améliorer le respect de l’intimité des personnes en situation de handicap lors de la toilette ?

clique ici pour le lire : Mathilde-Thomas-mémoire

 

Pour résumer (en français) :

L’éthique du care soutient l’idée que le changement se fait par petites actions qui sont plus adaptées à la demande et qui prend en considération la personne et son environnement. Cette éthique renonce aux relations verticales pour permettre la mise en place de relations horizontales basées sur l’entraide et la collaboration. Ainsi, cette manière de voir l’aide et les relations de soins permettent une tout autre intervention auprès des personnes en situation de handicap.

En effet, ayant passé une grande partie de mon enfance avec une personne en situation de handicap, pourtant très léger, j’ai vite été confrontée à la notion d’exclusion. C’est la (re)découverte des personnes en situation de handicap lors de mon stage en Entreprise de Travail Adapté, et des difficultés auxquelles elles sont confrontées, qui m’ont permis de comprendre l’importance de travailler à la réadaptation de l’environnement par le design.

Si le handicap est “la limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société due à une altération des capacités sensorielles, physiques, mentales, cognitives ou psychiques(Dictionnaire Larousse, définition du handicap, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ handicap/38988, consulté le 06/01/2021), il  implique une fragilité, qui amène au dysfonctionnement d’une vie “normale” et autonome. Qu’il soit partiel ou définitif, cognitif, physique ou même psychique, le handicap relève de l’ordre de la différence, perçue comme une déficience. Pourtant, selon Henri-Jacques Sticker, philosophe, historien et anthropologue de l’infirmité : “Chaque fois que l’on prend la question du handicap par la déficience, on regarde à l’envers et l’on attribue à l’individu des difficultés qui, à bien y réfléchir, ne tiennent qu’à l’aménagement in actu de la société environnante.(Henri -Jacques Stiker, Corps infirmes et sociétés, p. 301, Société inclusive, 2013) Le handicap serait dû alors à un mauvais aménagement de nos espaces de vie, ainsi le design pourrait être un véritable agent de notre cadre de vie et permettre la réponse à des enjeux sociaux. Il est donc de notre devoir de permettre aux personnes en situation de handicap de garder leur autonomie, leur dignité, de faire évoluer cette vision et de prendre en compte toute leur individualité. 

Le mot latin intus, donne naissance au comparatif interior, qui signifie “l’intérieur est plus dedans que…” L’intimité, c’est notre for intérieur, le lieu de ce qui fait notre subjectivité, où naissent nos émotions, nos pensées, nos croyances… Intimement liées à notre corps qui manifeste notre subjectivité par ses actes. On comprend alors que si le corps et sa capacité d’agir sont abîmés, l’intimité et la construction du sujet eux aussi seront fragilisées.

Soutenir l’intimité c’est : permettre la construction, favoriser l’émancipation, le pouvoir d’agir et surtout laisser la place à un rôle social, et à la singularité de la personne en situation de handicap. C’est à partir de ces moments d’intimité, qui sont le point de départ de la construction humaine, que doit commencer un travail de care.

Pour approfondir mes recherches, durant le premier semestre de cette année scolaire, sur la question d’intimité et de handicap, j’ai rencontré Laure Rébier, qui est ergothérapeute, et Margaux Richer, qui est psychologue et assistante sociale dans une entreprise de travail adapté, toutes les deux à Bruxelles. Lors de nos entretiens, elles ont  évoqué le sujet des moments intimes de la vie et notamment ceux en lien avec l’hygiène : la douche, aller aux toilettes, prendre soin de soi, etc. À l’aide d’anecdotes, elles m’ont parlé de l’impact que peut avoir un manque de sensibilisation à l’hygiène, chez des personnes en situation de handicap. Les impacts sociaux et physiques peuvent prendre une place plus que considérable dans la vie, telle que l’apparition d’un cancer dû à un manque d’hygiène buccale, ou alors, des moqueries ou des incompréhensions menant à des exclusions sociales. 

 

Finalement, ces réflexions, ces rencontres, ces partages m’ont amené à me demander: comment le design peut améliorer le respect de l’intimité des personnes en situation de handicap lors de la toilette ?

Pour résumer (en anglais) :

The ethics of care support the idea that change is made by small actions that are more adapted to the demand and that take into consideration the person and her environment.

This ethic renounces vertical relations to allow the establishment of horizontal relationship based on mutual aid and collaboration. Thus, this way of looking at help and care relationships allows for a completely different intervention with people with disabilities.

In fact, having spent a large part of my childhood with a person with a slight disability, I was quickly confronted with the notion of exclusion.

It is the (re)discovery of people with disabilities during my internship in an Adapted Work Enterprise, and the difficulties they face, that have allowed me to understand the importance of working for the rehabilitation of the environment through design.

If the disability is “the limitation of activity or restriction of participation in society due to an impairment of sensory, physical, mental, cognitive or psychic abilities” (Dictionnaire Larousse, définition du handicap, https://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/ handicap/38988, consulté le 06/01/2021), it implies fragility, which leads to the dysfunction of a “normal” and autonomous life. Whether it is partial or permanent, cognitive, physical or even psychic, disability is a matter of difference, perceived as a disability.

However, according to Henri-Jacques Sticker, philosopher, historian and anthropologist of disability: “Every time we take the issue of disability by deficiency, we look backwards and attribute to the individual difficulties which, when we think about it, are due only to the current development of the surrounding society.”(Henri -Jacques Stiker, Corps infirmes et sociétés, p. 301, Société inclusive, 2013) The handicap would then be due to a poor layout of our living spaces, so design could be a real agent of our living environment and allow the response to social issues.

It is therefore our duty to enable people with disabilities to maintain their autonomy, their dignity, to evolve this vision and to take into account their entire individuality.

The Latin word intus gives rise to the comparative interior, which means “the interior is more in than…” Intimacy is our innermost being, the place of our subjectivity, where our emotions, our thoughts, our beliefs are born…Intimately linked to our body which manifests our subjectivity through its actions. We understand then that if the body and its capacity to act are damaged, the intimacy and construction of the subject will also be weakened.

To support intimacy is: to allow construction, to promote emancipation, the power to act and above all to give way to a social role, and to the uniqueness of the person in a situation of disability. It is from these moments of intimacy, which are the starting point of human construction, that a work of care must begin.

Finally, these thoughts, these meetings, this sharing led me to wonder how can design improve the respect of the intimacy of people with disabilities when they wash themself ?