Jeudi 30 janvier, dans le cadre de l’éducation culturelle et artistique et des « rencontres d’écrivains », la classe de TPTEB a eu le plaisir de recevoir Eloi Audoin-Rouzeau, qui a échangé autour de son livre « Belleville au cœur » et sur le thème du programme de français en Terminale : le rythme. Il a aussi bien sûr abordé le processus d’écriture et de création artistique. La classe raconte ci-dessous la rencontre. Nous le remercions chaleureusement pour ce moment enrichissant.
Pour écrire Belleville au cœur, son premier livre, celui qui l’a fait « entrer en écriture », Eloi Audoin-Rouzeau a été démarché par une maison d’édition qui lui a demandé de prendre contact avec un homme, SDF, Christian Page, qui a, à l’époque, une tribune médiatique par l’intermédiaire de journalistes comme Guillaume Meurice, d’associations et de personnalités politiques.
Les premières rencontres se déroulent dans la méfiance mais Christian Page finit par raconter son histoire et sa vie dans la rue. Eloi Audoin-Rouzeau choisit d’enregistrer les conversations et écrit en rentrant chez lui. Il lui faut relire et demander l’approbation à Christian Page pour chaque texte écrit. Christina Page a finalement signé le contrat avec la maison d’édition mais ce fut une source de stress et d’angoisse, une sorte de barrière mentale à franchir, et ce ne fut pas simple.
En 2015, Christian Page est un homme « intégré ». Il a un bel appartement à Paris et un emploi de sommelier dans un restaurant où il rencontre des Parisiens lambdas et aussi le « Tout-Paris ». Mais sa femme le quitte et emmène leur fils unique. Il s’est retrouvé seul, chez lui et s’en est suivi une année entière de vide où il est resté dans son lit, à ne plus rien faire, ne se rendant même plus à son travail. Les huissiers ont fini par sonner à sa porte et il s’est retrouvé SDF, sans logement, sans emploi.
Une fois à la rue, il passe beaucoup de temps place Sainte-Marthe, dans le dixième arrondissement de Paris, avec ses compagnons d’infortune. Il ne possède rien sauf une chose qui est la plus chère pour lui : la liberté. Malgré tout, sa vie est très compliquée : prendre une douche, boire un café, recevoir du courrier, s’occuper de son linge, trouver à manger lui prend tout son temps. Les vagues de froid intense rendent la vie encore plus difficile et précaire.
Avec cet échange, on a appris qu’on pouvait basculer du jour au lendemain : un décès, un licenciement, une rupture… La vie dans la rue est comme une guerre intérieure, avec un ennemi interne qui parfois nous empêche de saisir les opportunités de s’en sortir. Il y a aussi une habitude qui se crée, les addictions et l’énergie tout entière tournée vers la survie.
Christian Page, tout au long de sa vie dans la rue, a subi le rythme de Paris. Comme le dit Eloi Audouin-Rouzeau, l’effet de foule nous emporte dans un rythme rapide mais on peut trouver des bulles (attente d’un métro par exemple) où on peut saisir du temps pour soi, pour méditer, penser à un projet.
D’ailleurs Christian Page s’est habitué au rythme de la rue et de la ville, ce qui le rend nostalgique quand il se retrouve dans un endroit stable, calme, à l’abri. La réinsertion est donc compliquée et quand il dort dans un appartement, il est angoissé par la solitude et n’entend plus le bruit autour de lui. A tel point qu’il préfère rester attaché à sa routine dans la rue : la foule, ses murmures, le bruit le rassurent. Il a toutefois essayé de s’intégrer dans des rythmes quotidiens banals, en essayant de se détacher de son addiction à l’alcool.
Pour conclure, cette première expérience a beaucoup marqué Eloi Audouin-Rouzeau car elle fut intense et pleine d’émotions (colère, indignation, tristesse). L’auteur nous a expliqué que son rythme d’écrivain était incroyablement rapide et intense, il écrit tout le temps, ses pauses sont rares. Il remet son « travail sur le métier » sans cesse pour des relectures et des corrections. Pour écrire le livre dont on a parlé, il dit avoir choisi les phrases les plus justes et les plus percutantes. Pour d’autres livres, il dit se laisser dépasser parfois par son sujet pour se laisser surprendre par la création. A la fin d’un livre, l’auteur dit avoir beaucoup de mal à le relire tant il l’a lu et relu, il le jette alors dans le commun et le laisse vivre sa vie de livre, de manière indépendante de lui.
Eloi Audouin-Rouzeau souligne sa liberté et le fait que son rythme soit un choix. Il nous a assuré que commencer un projet artistique était facile mais qu’en revanche, pour citer Eugène Delacroix, finir un projet demandait un « cœur d’acier ».
La classe de TPTEB