Qui sommes-nous?
Nous sommes Alix, Tom, Paula et Camille respectivement designers graphique, d’espace et d’objet, qui avons parcouru le chemin des bois de la sorcière, jusqu’à Goersdorf afin de proposer un rituel mettant le gibier à l’honneur. Voici le rituel du Nabier, mot-valise associant la nature et le gibier.
Passé – Présent – Futur
Notre questionnement s’est tourné vers la chasse, ses pratiques et ses rituels déjà existants. Cela amène à penser le rapport Homme-Animal. Nous avons souhaité faire appel à un chasseur chevronné afin de respecter les traditions déjà existantes. La chasse est difficile à aborder en 2021, c’est un sujet qui divise et les avis peuvent être tranchés. Nous avons donc fait appel à Renaud Gerst, président de l’association des chasseurs à l’arc de la fédération de chasse du Bas-Rhin, qui a accepté de venir partager son savoir et de communiquer autour des rituels de chasse déjà présents en Alsace.
Confronter nos idées à la réalité du terrain a été décisif et nous a permis d’aller plus loin, dans une vision réaliste et moins utopique de nos ambitions. La chasse est une pratique intégrant déjà beaucoup de rituels. L’un d’entre eux a retenu notre attention : le rituel de la Dernière Bouchée. Lors de ce rituel, un chasseur trempe dans le sang de l’animal un petit bout de bois que l’on nomme alors la Brisée. Une partie de ce bois est placée dans la bouche de l’animal et l’autre est remise au chasseur. Cela a pour but d’honorer le gibier et de le remercier d’avoir donné sa vie. Pour les personnes ne pratiquant pas la chasse, aucune action quotidienne ne permet de remercier la nature. Le rituel du Nabier permet de pallier ce manque.
Naissance – Vie – Mort
Les quatre designers rassemblent leurs camarades, leurs professeurs et quelques habitants de Goersdorf autour d’un atelier de fabrication de talismans dans la cour du presbytère, quelques heures avant le début de la procession du rituel. Chacun s’attelle à nouer, emboîter, accrocher des branches, feuilles et pommes de pin ramassées dans la forêt afin de créer la forme d’un gibier. Le but est de l’imaginer, de le personnifier et, ainsi, de lui insuffler une âme…
Au crépuscule, une fois les participants et leur talisman prêts, nos quatre guides prennent leurs lanternes et engagent la procession vers la forêt. Après avoir gravi la pente raide de la rue du chemin de Lembach, évité les crottins de cheval et remonté la rue du château, le groupe atteint l’entrée de la forêt. Là règne l’obscurité. Le groupe s’enfonce dans la forêt avec appréhension et curiosité, jusqu’à la découverte de trois grandes arches colorées qui ouvrent un passage vers un monde de gratitude. Elles représentent trois trinités: passé-présent-futur, naissance-vie-mort, corps-âme-esprit.
Nos quatre guides et les participants les franchissent, parcourent les branches d’arbres et les plantes grimpantes, et atteignent le lieu de recueillement. Ici, chaque membre du groupe s’apprête à laisser son talisman retourner à la terre. D’un geste unanime, les processionnaires se baissent et creusent dans la terre, de leur mains ou à l’aide d’une pelle, puis déposent leurs talismans dans le creux. Ensuite, debout et sous les indications de l’oratrice, les participants observent quelques minutes de silence, méditent, ressentent l’esprit de la forêt, la présence du gibier qu’elle a à offrir et expriment leur gratitude envers la nature. À nouveau, suivant l’indication de l’oratrice, tout le monde recouvre son talisman de terre pour clore cet acte.
À la fin du rituel, nos protagonistes prennent le chemin du retour dans l’obscurité et ressentent alors l’hostilité de la forêt. Ils repassent les arches et retournent dans leur monde ; laissant ainsi la forêt à son gibier et aux autres êtres qu’elle renferme.
Corps – Âme – Esprit
Inspiré par le respect qu’a le chasseur, ce rituel est un temps consacré au gibier que l’on voit, que l’on mange. Ce moment vient cristalliser notre connexion avec la nature ; on repense à ce qu’on lui prend, ce qu’elle nous donne et ce que nous lui devons.
Les talismans sont des artéfacts très importants dans notre rituel. Fabriqués par les initiés, ils incarnent toutes nos intentions et notre gratitude envers la nature . Ils sont fabriqués avec des matières naturelles. Les enterrer nous renvoie à l’inhumation.
Les portes ouvrent vers une nouvelle dimension dans la forêt pendant toute la période de chasse. Les initiés vont pouvoir les franchir seuls ou à plusieurs, afin d’entrer dans la démarche de gratitude. Elles représentent trois trinités en accord avec notre rituel : naissance, vie, mort ; corps, âme, esprit ; passé, présent, futur.
Se retrouver au crépuscule dans la forêt est très inhabituel, voire effrayant pour certains. Cette situation fait ressortir notre vulnérabilité. La forêt appartient désormais aux animaux.
Concept – Questionnement – Adaptation
Une fois notre concept mieux défini, nous avons expérimenté différents lieux et rythmes, afin de réfléchir au mieux l’expérience de notre rituel.
Où les arches seraient-elles le plus visibles ? Doivent-elles l’être ? Quel chemin est le plus sensoriel ? Comment nos camarades réagissent-ils ? Sont-ils sensibles ? Comment les émotions évoluent-elles ? Quand suggérer le silence aux participants ? À cela s’ajoutent des problématiques techniques. Dans quel sol pouvons nous creuser ? Quelle couleur est la plus visible dans la nature ? Faut-il représenter graphiquement la symbolique des arches ?
Être en résidence in situ nous a incité à faire des concessions. Nous avons dû faire dialoguer les contraintes du terrain avec notre idéal de projet. Confrontés à la controverse du traitement de la vie animale, nous avons organisé un rituel qui aspire à rassembler.