Le mardi 7 février, nous étions réunies à l’occasion de la journée des rencontres In Situ Lab. Elle constituait notre oral de soutenance de mémoire et nous permettait à la fois d’exposer notre thématique de mémoire commune au labo « Quelles nouvelles formes pour le soin ? » et à la fois d’échanger sur nos recherches avec différents acteurs ou experts, que nous avons croisé pour certains sur nos terrains d’intervention.
Les invités :
- Fred Rieffel : designer (Maison des adolescents à Strasbourg)
- Christelle Sordet : médecin en rhumatologue initiatrice de l’éducation thérapeutique à Strasbourg
- Marie-Odile Wagner : ergothérapeuthe, intervient en éducation thérapeutique
- La Fabrique de l’Hospitalité : service intégré aux HUS chargé d’actions culturelles, améliorent le fonctionnement des services hospitaliers et le parcours patient en intégrant les acteurs (patients, professionnels de santé, administration) présents sur le terrain
- Alexandre Berkesse (appel vidéo): consultant et chercheur en management à l’Université de Montréal, contribue à la réflexion sur le « partenariat de soins et de services » et sur le rôle du patient dans le système de santé actuel, grâce au programme de formation de Patient-partenaire
- Patrice Rey (appel téléphonique): muséologue, travail de médiation et d’illustration autours des croyances populaires notamment liées à la médecine
- Dingdingdong (appel téléphonique la veille) : création de savoirs autour de la maladie de Huntington
~ RETOUR SUR LA JOURNÉE
La prise de note en direct sur les murs d’exposition a permis de rompre avec le côté magistral de la présentation et de rendre visible l’évolution du discours. Le fanzine créé en flux tendu par la cellule éditoriale était un moyen créatif de garder trace de la journée, dans l’immédiateté du discours et des échanges. Distribué à la fin, il constitue un témoignage de cette journée à la fois pour le public et pour nous.
Le format du séminaire participatif, qui intègre des acteurs variés comme des designers, médecins et patients, encourage la démocratisation du design dans le soin, pour commencer à dialoguer et à échanger les points de vue sur le soin. Certains professionnels de santé qui n’avaient pas connaissance de notre travail jusque là, ont été surpris par la façon dont le design pouvait intervenir et questionner leurs pratiques quotidiennes. Cette porosité de la frontière entre design et soin, permet d’entrevoir de nouvelles perspectives et envisager des solutions alternatives. En parallèle, le design dans le soin peut être considéré comme une innovation en soi, car l’intervention de designers dans le milieu médical est encore rare.
La diversité des intervenants présents était fédérée autour d’une volonté commune : considérer le patient comme personnage central des services de soin et favoriser son autonomie. Christelle Sordet, rhumatologue en charge de l’éducation thérapeutique précise que le patient est acteur de son parcours de soin, une posture active encouragée par le collectif Dingdingdong qui co-produit du savoir expérientiel avec des soignants, artistes, chorégraphes et patients atteints de la maladie d’Huntington. Alexandre Berkesse institutionnalise l’empowerment du patient à travers le programme du Patient-Partenaire au CHU de Montréal, où à la suite d’une formation, le patient devenu expert peut s’impliquer auprès des médecins pour repenser les parcours de soin, la recherche et la formation des soignants.
Le design peut ainsi intervenir à diverses échelles. L’esthétique médicale est à questionner lorsqu’elle connote un univers austère et sérieux, stigmatisant le malade. Au-delà des objets, le designer peut également se placer en médiateur entre les différents usagers des services de soin, qu’il s’agisse des patients, des soignants ou des accompagnants; et ainsi repenser en co-construction les parcours médicaux, en intégrant le patient comme un véritable acteur de son parcours de soin. Le designer peut alors porter un regard extérieur sur les pratiques médicales et s’affranchir des normes contraignantes du système hospitalier, pour fabuler de nouveaux scénarios de soin, en puisant dans l’imaginaire culturel ou dans d’autres champs comme l’art, la sociologie, etc.
~ POUR ALLER PLUS LOIN…
La journée d’échanges autour des formes du soin donne un nouveau souffle à nos réflexions respectives à la suite de quoi nos écrits de mémoire se sont précisés. Questionner les pratiques de soin, c’est s’engager et prendre conscience des enjeux politiques, sociaux et économiques que peuvent soulever les innovations médicales. Face à l’essor du numérique dans ce secteur, nous nous posons la question de son intégration dans nos projets. Le numérique doit pouvoir augmenter un service humain de soin, et non pas le remplacer. Car ces innovations numériques se placent généralement dans une mouvance actuelle qui tend à la privatisation des services de soin, nous nous interrogeons sur les modèle(s) économique(s) dans lesquels nos projets peuvent s’inscrire. Il nous semble pertinent de s’engager dans une posture de projet qui renforce les services publics tout en gardant une indépendance vis à vis du commerce privé de la santé.
Comment pérenniser nos projets dans la réalité pour que ceux-ci ne restent pas de l’ordre de la performance artistique, mais soient véritablement effectifs et intégrés aux services de soin ? Car lorsqu’il s’agit de sortir des sentiers battus en terme de formes et usages des objets de soin, le milieu médical oppose souvent une certaine réticence. La Fabrique de l’Hospitalité, par son travail en étroite collaboration avec les services hospitaliers, montre que le designer aurait intérêt à être intégré aux structures médicales, pour faciliter la collaboration entre les différents acteurs du parcours et assurer un suivi des projets sur le long terme.