interstices : une mission…
interstices, symboliquement, c’est l’entre-deux que nous recherchons : le juste-milieu entre la pause et le temps d’investissement sérieux du travail. Cette pause doit être valorisée.
Nous investissons donc les recoins de la BNU et proposons des solutions pour le temps libre : le temps où les usager·es ne travaillent pas. Nos réponses spatiales questionnent l’entre-deux et proposent une nouvelle manière de concevoir la pause. Matériellement, les interstices du bâtiment représentent notre opportunité pour travailler cet entre-deux. Mais ça, nous en parlerons au prochain épisode !
Personne ne passe par là
Lors de notre première visite dans le bâtiment de la BNU nous notons un grand nombre d’espaces inutilisés. Des recoins, des espaces centraux, des passages trop larges… Nous les donnons donc à voir en les marquant de notre scotch bleu, élément phare de notre résidence au sein de cette institution. Le logo interstices est apposé sur chaque espace marqué. Ainsi, nous remarquons et faisons remarquer les espaces non utilisés de la BNU pour ouvrir une réflexion.
Ce marquage, c’est notre premier outil de projection, le premier point de questionnement : “Que pourrait-on faire là ?”.
On est passé par ici…
Pour être identifiable au sein de la BNU, en tant que collectif interstices, qu’étudiant·es de l’InSituLab et qu’individus, nous portons une demi-ceinture de scotch bleu à la taille, assortie à un masque en tissu bleu. Sur la ceinture figure au posca blanc nos prénoms devant, “InSituLab” sur le côté et interstices au dos. Nous sommes ainsi repérables de tous côtés!
La typographie mécane réalisée à la main exprime bien la notion d’interstices grâce à sa graisse égale et ses empattements très marqués et angulaires qui rappellent des plans architecturaux. De plus, ses mêmes caractéristiques en font un caractère très facilement lisible. L’aspect fait main réintroduit une notion d’humanité et de chaleur dans une typographie initialement très mécanique.
Chaque intervention de notre collectif est ponctuée de notre logo appliqué sur un scotch bleu, signifiant ainsi toujours notre passage tel des Zorro de la détente.
Mais…qui a fait ça ?
Hannah Beaudeux, designer graphique
Dans ma BNU idéale, il y a des bouquets de fleurs et des objets de décoration colorés qui donnent de la vie au lieu et des petites banquettes douillettes pour bouquiner blottie au chaud avec une jolie vue sur la ville.
Armand Bouchardy, designer produit
Dans ma BNU idéale, il y a des espaces de détente où l’on peut adopter des positions très décontractées et avoir à dispositions des grands poufs pour se mettre dedans, des petits espaces individuels relativement fermés de manière à s’approprier cet espace.
Manon Deswartvaeger-Mollet, designer produit
Dans ma BNU idéale, des fresques colorées parcourent les murs, veillent sur les étudiant·es, les inspirent et les incitent à rêver.
Tom Chabbat, designer d’espace
Dans ma BNU, idéale, on peut facilement se terrer en solitaire avec son livre. Plaids, chaussons : on travaille en douceur sous une lumière délicate et chaude. Parfois peut-être partager cette intimité en messes basses…
Le cul entre deux chaises
Nous trouvons curieux qu’il n’y ait pas d’espace pleinement consacré à la détente – en dehors peut-être de la cafétéria. Les fauteuils individuels sont les éléments présents qui semblent s’approcher le plus de cela, mais on remarque que leur placement se fait seulement là où ils dérangent le moins. Ils sont confondus dans les espaces de travail et ne constituent pas de réels espaces privilégiés. De ce fait, le mobilier de détente est souvent détourné en espace de travail aux heures de pointe de la BNU. Or, ce n’est pas prévu pour ça et les usager·es sont installé·es inconfortablement.
C’est pourquoi nous commençons à nous approprier les lieux en ré-agençant les fauteuils, afin de créer de véritables espaces dédiés à la détente. Ces premières manipulations nous permettent d’engager une démarche basée sur une spirale vertueuse de réflexion, d’action, d’observation et de réaction.
Nous créons des occasions de s’isoler et/ou de se rencontrer. Nous voulons concevoir des zones dédiées à la pause par l’intermédiaire d’objets-espace : des objets qui dans leur taille, composition, position crée des espaces. Ainsi, par un réaménagement stratégique des fauteuils et par l’ajout de paravents, nous créons des micro-salons. Nous offrons aux usager·es une intimité nouvelle et permettons un temps calme à l’abri des stimuli extérieurs. En fait, nous cherchons à recréer une dimension individuelle dans ce vaste espace commun qu’est la BNU, qui peut sembler froid et impersonnel par certains abords.
Un usager a trouvé une seconde utilité au paravent : porte-manteau. Cet homme s’est installé dans le fauteuil et a utilisé un coin comme support pour poser son manteau. (légende photo)
Les paravents permettent une isolation visuelle et sonore, ce qui nous semble bienvenu sur les longues et interminables tables de travail où il est impossible de s’isoler. Nous concevons donc des petits paravents à poser à même la table afin de se cacher de ses voisin·es pour un peu de tranquillité. Nous en mettons plusieurs pour que les usager·es se sentent libres de les bouger.
Bilan, ce n’est pas une proposition juste car cela les cache de la lumière naturelle et leur donne l’impression d’être nez à un mur, or iels ont besoin de se sentir libres. Une étudiante nous a même confié se sentir enfermée et oppressée après utilisation. Quelle horreur !
Je ne dors pas, je ferme les yeux !
En insufflant de nouvelles pratiques pour valoriser les temps de pause de manière ludique, nous incitons à la détente, à la tranquillité et à l’apaisement comme ils n’existent pas à la BNU.
Il nous semble important d’introduire de nouvelles postures à la BNU, des postures de détente. Nous commençons timidement avec un repose-pied qui permet une posture plus allongée, ancrée dans le sol.
Chaque mardi et jeudi matin, en faisant notre ronde d’observation, nous observons systématiquement le fauteuil du 4e remis à sa place derrière une colonne, pour ne pas gêner un passage pourtant inutilisé. Le repose-pied est carrément porté disparu après seulement 2 jours d’installation! En effet, il n’est plus où nous l’avions laissé et après des demandes auprès des employé·es nous n’avons toujours pas de trace! Une remise en question de la légitimité du carton et de notre travail au sein de la BNU se pose. L’heure n’est pas à la fête… Nous nous interrongeons également sur la forme du repose-pied. Il y avait un assemblage, une attention particulière portée aux finitions, le scotch bleu, la signature interstices… Rien ne semble pourtant présager d’une simple boîte en carton qu’on jette à la benne !
Nous trouvons malgré tout pertinent d’installer un coin détente au 4e étage près des collections de photographie, d’art, de design… pour les consulter, sans avoir à s’asseoir à une table de travail ou les emprunter. Pour éviter le déplacement des fauteuils, nous bloquons donc un salon unipersonnel aménagé grâce à un panneau en carton. L’espace créé est isolé des tables de travail et du passage. Le fauteuil et le repose-pied sous-entendent un espace détente/lecture. Alors quel dommage qu’il ait disparu !
Mais, un beau jour, juste avant noël, il est réapparu d’entre les morts au pied de son fauteuil. Un mi-racle !
Sur une autre note, avoir la possibilité de s’allonger est une demande récurrente des usager·es selon le questionnaire de satisfaction annuel de la BNU. Ainsi, nous disposons deux méridiennes respectivement au 4e et 5e étage. La BNU ferme à 22h, avoir l’opportunité de s’allonger quelques minutes au long d’une tardive et harassante session de travail est un soulagement.
Cette première méridienne est tout en carton, ce qui n’inspire pas confiance,nous vous l’accordons, mais elle n’a évidemment pas vocation à le rester. Une fois allongé·e, on peut observer une fresque, qui permet une immersion dans un ciel étoilé. C’est une incitation à la rêverie et à l’évasion qui signale visuellement la sortie des usages habituels de la BNU.
La deuxième méridienne est une alliance de tabourets molletonnés de la BNU et de modules en carton made in interstices. Elle est visible dans un couloir du 5e.
L’une des méridiennes est proche des tables de travail, tandis que l’autre est plus cachée. En fonction des utilisations et des usager·es, nous déduisons qu’il vaut mieux isoler plus ou moins ces coins détentes. Dans un monde sans scotch et sans carton, ils peuvent être agrémentés de coussins et de poufs qui offrent un confort bien supérieur.
Et je me pose où moi alors ?
Les fauteuils constituent le principal espace de lecture, mais sont souvent déserts. Il est difficile de s’y installer sans trop savoir où poser ses affaires. En outre, les heures d’affluence contraignent les usager·es qui n’ont pas de place sur les tables de travail, à hacker le mobilier de détente. Iels empruntent alors des positions peu confortables qui nuisent à leurs activités.
Nous installons une première tablette d’appoint qui se glisse entre 2 fauteuils. L’ensemble permet d’orienter les assises à loisir pour travailler ou échanger. Il est possible de poser son sac en dessous.
Nous concevons également une deuxième tablette, cette fois pour le travail individuel. Celle-ci se glisse par-dessus les genoux et le fauteuil pour accueillir des livres, un ordinateur ou pour y écrire. (Elle permet en outre de pallier au manque de table en cas d’affluence.)
Une troisième tablette accueille les lecteur·ices en quête de tranquillité au 4e étage, au cœur des collections à la lumière d’une fenêtre.
On ne s’entend plus penser
La BNU offre un large espace ouvert, mais elle diffuse aussi facilement les sons. Pour répondre à un appel, il faut se recroqueviller et parler tout doucement dans un coin ou bien ranger ses affaires, descendre tous les étages et sortir pour re-rentrer plus tard, ce qui devient vite agaçant.
Nous imaginons deux sortes de cabines isolantes pour un temps au téléphone. La première, ouverte, vient ménager un coin isolant pour un cours échange.
La seconde investit un interstice de l’étage 3+ au niveau des balcons et offre une isolation complète. Elle emploiera à terme le même verre qui sépare les espaces de la BNU, ce qui permet de signaler son occupation. Elle propose en outre des prises électriques et un bureau, notamment pour introduire une pratique en plein boom : la visioconférence.
Viens, on est bien !
Au fil des expérimentations, nous sentons les usager·es assez timides quant à l’utilisation de ce que nous leur proposions. La surprise n’est pas si grande puisque ce que nous fabriquons est tout en carton. Pour s’assurer d’une légitimité de nos propositions vis-à-vis du public, nous imaginons un atelier participatif de conception qui ne restera malheureusement qu’un prototype.
Malgré tout, pour ne pas se contenter de blâmer nos outils, nous cherchons à pallier cette timidité. Nous prenons notre scotch et, par des jeux de tracés et d’invitations écrites, nous essayons de guider les esprits concentré vers nos espaces de repos.
L’un de nos plus francs succès s’avère être la table d’échec. Cette icône du jeu de plateau à deux a su séduire les friand·es de jeux d’esprit. Proposant calme, partage, et concentration, les échecs trouvent leur juste place parmi des usager·es qui attendent patiemment leur tour pour l’investir.
Comme à la maison
Rares sont les usager·es qui viennent à la BNU pour se reposer, elle est majoritairement vue comme un espace de travail, et assez impersonnel avec ça. Nous poussons donc le concept « comme à la maison » avec un espace chaussettes, pour stimuler une appropriation des lieux par les usager·es et les mettre à l’aise. L’idée serait qu’ils se sentent libres de se poser, non observé·es ou jugé·es. Ainsi, ce coin chaussettes permet de retirer ses chaussures pour y circuler, comme son nom l’indique, en chaussettes. Des casiers, à l’entrée, gardent les chaussures. Des pantoufles peuvent même y être amenées !
Grande déception de cette résidence pour interstices, le coin chaussettes est un flop total en l’état actuel des choses. Pas une âme n’a retiré ses chaussures (membres de l’InSituLab mis à part).
Peut-être que notre projet mériterait d’être plus abouti, avec du mobilier en dur, ou amené différemment. Cela aurait en revanche demandé d’expérimenter encore un petit peu. Mais nous restons convaincus de la légitimité de tels espaces au sein de la BNU. L’esprit principal est qu’il ne faut pas nécessairement être guindé pour être efficace dans son travail, bien au contraire !
On repassera par là…
Ça y est, l’heure a sonné et il est temps de remballer toutes nos interventions. Adieu, paravents, méridiennes, tablettes, et tables d’échecs ! Les kilomètres de scotch bleu dont nous avons paré la BNU, eux, semblent très attachés au lieu et nous donnent du fil à retordre ! Mais on les comprend… Certains usager·es leur ont laissé des petits mots d’au revoir ! Quel plaisir ça a été de découvrir cet inattendu moyen d’expression, on peut dire au revoir à la BNU avec un dernier sourire. Et puis, quelque chose nous dit que nous repasserons bientôt par là !
Face à l’Auditorium
Nous revoilà une dernière fois dans ces murs qui nous ont accueillis deux mois durant, sur la scène de l’Auditorium, pour rendre compte de notre travail auprès de l’équipe de la BNU. Point d’orgue de cette résidence, nous sommes parés pour notre public. Mais tout préparé que l’on est, on n’est jamais à l’abri d’un drame… Le diaporama nous plante complètement ! C’est la panique à bord de notre navire intérieur, mais tous professionel·les que nous sommes, nous restons calmes, concentré•e et imperturbables à l’extérieur. Malgré cette déconvenue, notre public a eu l’air très emballé et c’était un véritable plaisir !
Le mot de la fin
Cette résidence à la BNU aura été une superbe expérience, pleine de défis et d’actions. Quel plaisir de créer pour de réel·les usager·es ! Cependant, nous sentons les usager·es encore bien timides quant à l’utilisation de nos espaces de détente. Difficile de ne pas les comprendre quand on leur propose si soudainement de nouvelles pratiques dans un lieu dont iels emploient déjà les codes ! Nous restons cependant convaincu·es que ces nouveaux usages ont une légitimité au sein de la BNU. L’actuelle réticence pourrait se normaliser avec un peu de temps et des installations en dur, à l’aspect plus “sérieux”.
Nous estimons important d’avoir travaillé et de travailler à une meilleure acceptation de la pause, de la détente. Libérer sa posture, se sentir bien, que ce soit par le prisme de la productivité ou pas, doit apparaître comme fondamental. Tout simplement : soyons à l’aise !
Nos sincères remerciements à notre référente Nathalie et toute l’équipe de la BNU qui se sont rendus disponibles.